Ephésiens 2, 4-10

Ephésiens 2, 4-10

                  La lecture de l’apôtre d’aujourd’hui est un vaccin contre le péché d’orgueil, dont les Pères de l’Eglise disent qu’il est la passion la plus grave, celle qui a précipité le premier homme dans sa chute. Comme Adam, sans l’aide de Dieu, nous ne pouvons rien. Si nous pensons pouvoir assurer seuls notre salut par nos œuvres, si nous pensons le mériter, nous sommes dans l’erreur.

            Dans les trois lignes qui précèdent la lecture du jour, l’apôtre Paul décrit la situation dans laquelle nous sommes tous quand notre vie n’est pas conforme aux exigences évangéliques, en raison de notre ignorance ou de notre manque de zèle. L’apôtre parle de cette situation au passé, dans la mesure où il a abandonné le statut de persécuteur des chrétiens pour celui de propagateur zélé de leur foi, et il a modifié sa vie en fonction de son adhésion totale à l’enseignement du Christ. Il s’adresse aux membres de la communauté d’Ephèse qui ont fait le même choix que lui, et il s’adresse à nous qui essayons de suivre la même voie. »Nous nous abandonnions jadis – écrit-il, – aux désirs de notre chair: nous faisions ses volontés, suivions ses impulsions, et étions par nature, tout comme les autres, voués à la colère. » L’apôtre Paul ne fait pas allusion à une éventuelle vie dissolue qu’il aurait menée avant sa conversion. Un pharisien lettré qui, toute sa vie, a appliqué à la lettre la loi mosaïque ainsi que toutes les prescriptions qui se sont accumulées au cours des siècles, n’a rien d’un noceur plus ou moins dépravé. L’apôtre Paul veut dire que notre nature humaine déchue nous pousse naturellement vers le péché. C’est la recherche de la perfection qui nous semble anti-naturelle, tant notre condition nous rend sourds et aveugles au message évangélique qui, de plus, va à l’encontre de nos tendances naturelles. Sommes-nous conscients des changements qu’aurait du impliquer notre baptême dans notre vie, comprenons-nous vraiment ce à quoi notre baptême nous a engagés ? Nous sommes-nous convertis en profondeur comme Paul et comme les Ephésiens ? En utilisant le passé à la place du présent, l’apôtre Paul peut paraître bien optimiste, en tout cas, en ce qui nous concerne. En fait, il fixe les objectifs vers lesquels nous devons tendre, sans préjuger du résultat de nos efforts, puisqu’il ajoute que les œuvres, c’est-à-dire les conséquences pratiques, la mise en conformité de notre vie avec notre foi, ces œuvres seront de toute façon insuffisantes, si nous négligeons un aspect particulier de notre foi, notre foi en la miséricorde divine.

            Depuis sa conversion, Paul est sauvé par la grâce. « Le Père nous a sauvés, – ajoute-t-il, car il nous a donné la vie avec le Christ, Il nous a ressuscités avec Lui et fait asseoir dans les cieux en Jésus Christ ». C’est fait, c’est acquis. Le passé utilisé par Paul a un résultat présent. « Dieu nous a sauvés, nous a donné la vie, nous a ressuscités avec le Christ, nous a fait asseoir dans les cieux ». L’apôtre Paul est entré, et nous fait entrer avec lui, dans le Royaume où la notion de temps est abolie, où le passé, le présent et l’avenir se confondent. Cette idée est reprise dans la liturgie: « Tu nous a relevés, nous qui étions tombés, – proclame le prêtre en s’adressant au Père, – et Tu n’as cessé d’agir jusqu’à ce que Tu nous aies fait don de Ton Royaume à venir. Pour tout cela nous Te rendons grâce … » Le don a été fait dans le passé et il englobe l’avenir qui, dans l’éternité, est ramené au présent. Plus loin, le chœur chante: « Nous avons vu la Vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la foi véritable, nous adorons l’indivisible Trinité, car c’est Elle qui nous a sauvés. » Il n’est pas dit que la Trinité va nous sauver, il est dit qu’Elle nous a sauvés. Tout cela signifie-t-il que les jeux sont faits, et nous serions tous sauvés ? Potentiellement oui, dans la pratique, non; ce n’est pas automatique, cela dépend de notre adhésion, cela dépend de l’orientation que nous donnons à notre vie. 

            Nous sommes sauvés par la grâce, dit l’apôtre. Dans Sa miséricorde, Dieu nous sauve, si nous l’acceptons – c’est là qu’intervient la foi. Nous ne sommes pas sauvés par nos œuvres, nous sommes sauvés par notre foi en la miséricorde divine. Si les œuvres suffisaient à sauver l’homme, le sacrifice et les souffrances du Christ auraient été inutiles. Si l’observance de la Loi était suffisante, le jeune homme riche dont il est question dans les Evangiles serait automatiquement sauvé, ce qui n’est pas le cas, l’automaticité ne semble pas acquise. C’est d’ailleurs ce qui a effrayé les apôtres, témoins de la scène: si le Christ attend encore davantage d’un jeune homme qui observe tous les préceptes du judaïsme, ce qui est loin d’être évident et n’est, sans doute, pas le cas des apôtres, qui peut prétendre avoir droit au salut ? C’est là qu’intervient l’un des grands paradoxes du christianisme – quoi que l’on fasse, ce ne sera jamais assez au regard de la perfection, et quoi que l’on ait fait, cela ne donne droit à rien. C’est très dérangeant, à une époque où il est plus souvent question de droits que de devoirs. Dans le domaine spirituel, nous n’avons pas de droits, nous n’avons que des devoirs. Le seul droit auquel nous pourrions prétendre est celui d’être aimés de Dieu. Nous n’avons donc rien à revendiquer, car nous sommes aimés par Dieu. Pour le reste, c’est à nous de jouer. Mais, dans la mesure où, quoi que nous fassions, nous ne ferons qu’approcher de la perfection de très loin, nous avons besoin de l’aide massive de l’Esprit. Cette aide est accordée en fonction de notre foi, quand nous la demandons. Elle est parfois accordée sans que nous la demandions. Nous pouvons ne pas en avoir conscience. Quelle que soit notre situation sur le plan spirituel, cette aide est indispensable, sans elle nous ne pouvons être sauvés, car nous ne serons jamais parfaits. Dieu nous demande de tendre vers la perfection, mais ne S’attend pas à ce que nous soyons parfaits, parce qu’Il sait que c’est impossible. L’approche de l’apôtre Paul est ici résolument optimiste, elle ne correspond pas à l’opinion que l’on a généralement de lui.

Il est souvent question dans les Evangiles de la difficulté d’entrer dans le Royaume, du grand nombre d’appelés et du petit nombre d’élus, de la voie étroite, des souffrances à venir pour ceux qui ne seront pas sauvés, du Jugement dernier et du châtiment en général. Entre ceux qui espèrent que tout le monde sera sauvé et ceux qui pensent que ce ne sera le cas que d’une infime minorité, qui a raison ? Les deux approches reposent sur des arguments convaincants et sur des citations des Evangiles. En fait, il est impossible de trancher, parce que le Christ a parlé de l’au-delà par le biais de paraboles, en utilisant des images qu’il faut interpréter.

            Il se pose un problème supplémentaire, celui de l’incompressibilité de la peine pour ceux qui seront condamnés, et le caractère définitif de cette peine. La réponse orthodoxe, en particulier celle de l’orthodoxie russe, dont nous sommes, parmi d’autres, les héritiers dans notre Archevêché, cette réponse n’a pas été érigée en dogme et a le statut d’opinion théologique. Des écrivains classiques russes et des théologiens se sont penchés sur la question de la souffrance et de la condamnation dans l’au-delà. Dans leur vision du plan de Dieu, ils sont arrivés à la conclusion que le bonheur des élus, le bonheur de ceux qui seront sauvés, ne pourra être complet et qu’il sera même terni, si des gens qu’ils aiment subissent une condamnation définitive. L’harmonie qui règne nécessairement dans un monde transfiguré ne peut s’accompagner du désordre que serait la souffrance, même justifiée, même méritée, d’êtres qui nous sont chers, si tenté que nous soyons nous-mêmes sauvés. Il ne peut y avoir d’imperfection dans un monde parfait. De là à dire qu’il y a des chances pour que tout le monde soit sauvé, il n’y a qu’un pas, celui qu’a franchi le théologien et martyr russe Paul Florensky. S’appuyant sur certains passages des Evangiles et sur Saint Paul, Florensky affirme que l’homme a deux faces – une face profonde, celle de l’homme qui est à l’image et à la ressemblance de Dieu, et une face périphérique résultant de sa vie et de ses actions. A la fin des temps, l’homme profond sera sauvé, tandis que le bilan de ses actions mauvaises sera détruit par le feu divin. Cette conclusion est une tentative de réponse à un problème qui ne peut être résolu en ce monde. Dans l’Evangile de Jean, le Christ demande au Père que ceux que l’on appellera plus tard les chrétiens soient un comme le Père et le Fils, et qu’ils soient eux aussi un avec le Père. La citation exacte est:  » Comme Toi, Père, Tu es en Moi et Toi en Moi, qu’eux aussi soient en nous afin que le monde croie que Tu M’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu M’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un: Moi en eux et Toi en Moi. » Si les conclusions du père Florensky étaient complètement fausses et erronées, comment pourrions-nous faire un avec le Père dans le Royaume, sans que notre imperfection, sans que le poids de nos péchés nous en empêchent ? Nous ne le saurons qu’après notre mort.

            Tout cela est bien compliqué et nous dépasse. Nous n’avons aucune réponse vraiment précise sur ce qui nous attend dans l’au-delà. La seule chose dont nous soyons sûrs en ce qui concerne notre sort après la mort est qu’il dépendra du genre de vie que nous avons eu sur terre. En attendant, prions, lisons les Ecritures pour nous en imprégner, vivons comme si notre salut ne dépendait que de nous, tout en ayant foi en la mansuétude de Dieu, sans laquelle aucun être humain ne pourrait être sauvé.

               

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