Prières pour les défunts.

 

            La France entière s’apprête à fleurir les tombes dans les cimetières.

            La mort a pourtant été quasiment évacuée de la vie des occidentaux. De nos jours, on meurt discrètement, on est enterré discrètement. Jusqu’aux années 60 du siècle dernier, le décès d’une personne était porté à la connaissance de tout le voisinage. L’entrée de son immeuble était couverte de tentures noires et les convois funéraires étaient reconnaissables de loin. Militaires et policiers les saluaient à leur passage, les civils se découvraient.

            La majorité des décès ont lieu à l’hôpital et tout ce qui suit, jusqu’à l’inhumation, se fait dans la discrétion. On ne porte plus le deuil, non parce qu’on croit en la résurrection, mais pour ne pas avoir à penser à sa propre mort. La mort est un sujet quasiment tabou qui n’est levé que par les publicités qui incitent à prérégler ses obsèques, pour ne plus avoir à s’en préoccuper et pour en décharger ses proches. Une fois par an, ce tabou est également levé à l’occasion de la Toussaint, quand, croyants ou incroyants, fleurissent les cimetières.

            Quel contraste avec les pays de tradition orthodoxe, et en particulier, avec la Russie, dont notre Archevêché, pour des raisons historiques, suit la tradition, autant que la loi française le permet ! En Russie, la mort est encore considérée comme une étape naturelle, les offices sont célébrés devant le cercueil ouvert, sans que cela trouble qui que ce soit. Il ne sera fermé qu’au cimetière, avant l’inhumation.

            Chez nous, les commémorations collectives des défunts se font sept fois par an, à dates fixes, généralement le samedi : le samedi qui précède la semaine des laitages, avant le début du Grand carême, puis les 2-ème et 3-ème samedis du Grand carême,  le mardi de la 2-ème semaine après Pâques, le samedi, veille de la Pentecôte, puis le 29 août, jour de la commémoration de la décapitation de Saint Jean-Baptiste, et enfin, le samedi qui précède la Saint Dimitri en octobre.

            Les commémorations collectives sont complétées par des commémorations individuelles, le jour de la fête du saint dont le défunt porte le nom et à la date anniversaire de son décès.

            Les protestants ne prient pas pour les défunts. Catholiques et orthodoxes nous le faisons. Mais pour quelles raisons ? Après tout, une partie de la chrétienté estime qu’après la mort, les jeux sont faits, et qu’il n’y a plus de possibilité d’intervenir auprès de Dieu pour nos défunts. C’est une erreur. Nous pouvons encore intervenir. Nous le pouvons, parce que la Résurrection du Christ nous a fait retourner de l’histoire à l’éternité. Les notions d’infini et d’éternité sont difficiles à concevoir, tant nous sommes limités.

Des exemples concrets extraits de La liturgie de saint Jean Chrysostome et des Ecritures décryptent en partie le mystère. Dans la prière de l’oblation, nous remercions Dieu « qui n’a cessé d’agir jusqu’à ce qu’Il nous ait élevés au ciel et fait don du Royaume à venir ».

Dieu agit avant la Création, puis après la chute de l’homme qui le fait momentanément passer de l’éternité à l’histoire, avant de le réintroduire dans l’éternité après sa mort. Prenons l’exemple du Bon larron. De croix à croix sont échangées des paroles d’une importance inouïe qui mettent à mal les notions de purgatoire chez nos frères catholiques, ainsi que la théorie avancée par quelques pères de l’Eglise selon laquelle les défunts traverseraient une série de douanes après leur décès. Presque personne n’est revenu de l’autre monde pour nous raconter ce qui s’y passe – nous n’en savons rien. Même Lazare, l’ami du Christ, ne s’est pas étendu sur le sujet. En revanche, le Christ a prononcé des paroles qui, elles, ne peuvent être contestées.

Le jour de la crucifixion, l’un des brigands admet la logique de sa peine. Il admet avoir mérité la mort comme punition et reproche à l’autre brigand les insultes proférées à l’égard du Christ qui, contrairement à eux, est innocent. Et il Lui demande de « se souvenir de lui, dans Son Royaume ». Ces paroles sont une profession de foi d’une humilité absolue.

Le Christ ne répond pas : « tu vas te purifier pendant un certain temps, puis Je te recevrai dans Mon Royaume ». Il ne dit pas non plus : « tu vas passer différentes étapes, différentes douanes avec des anges qui seront tes avocats et des démons qui seront tes procureurs, et ensuite, en fonction de Ma décision tu seras admis au Royaume, ou tu resteras à sa porte pour l’éternité et tant pis pour toi. »

Le Christ répond « en vérité, Je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Le brigand va passer de l’histoire à l’éternité. Ce dialogue est si fort que nous  l’évoquons à chaque liturgie, dans la prière que nous disons ensemble avant de communier.

Quand nous prions pour nos défunts, quand nous demandons à Dieu d’accorder le repos éternel à l’âme de ses serviteurs, notre prière se situe dans l’histoire. Dieu, Lui, Se situe dans l’Eternité. Nos prières sont donc reçues dans l’éternité, par notre Créateur qui est hors du temps. Cela signifie que Dieu qui connaît notre passé, notre présent et notre avenir prend toutes nos prières en compte. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, cela signifie que le défunt qui est déjà dans l’éternité bénéficie des prières passées et à venir. Elles sont à venir pour nous, elles sont hors du temps pour eux.

Il n’est donc pas inutile de prier pour nos défunts, il n’est jamais trop tard, et ceux qui n’ont personne qui puisse prier pour eux sont « pris en charge » par les moines dont une des fonctions est de prier pour ceux pour qui personne d’autre ne prie. Rien ne nous empêche d’en faire autant.

N’oublions pas nos défunts. Prions aussi pour tous ceux qui sont oubliés. Ils le font pour nous, même si nous n’en sommes pas conscients. Faisons – le pour eux, à notre tour.  

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