Dimanche du pardon

Romains 13, 11- 14, 4   Matthieu 6, 14-21
Les deux lectures d’aujourd’hui achèvent la phase de préparation au Grand carême qui commencera juste après les vêpres du Pardon.
L’apôtre évoque deux problèmes qui divisaient les premières communautés chrétiennes, composées de Juifs pratiquants et de convertis issus du paganisme. La plupart des chrétiens issus du judaïsme continuaient à observer les règles alimentaires du judaïsme, tandis que les autres chrétiens en étaient dispensés. Ce dernier point était à l’origine de tensions, y compris entre les disciples eux-mêmes. D’autre part, il se posait le problème de la consommation de la viande provenant des sacrifices pratiqués dans des temples païens. Plus loin dans l’épître, l’apôtre Paul renvoie tout le monde dos à dos: « celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, – écrit-il, en effet, il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas de tout le fait pour le Seigneur, et il rend grâce à Dieu ». Pour ceux qui seraient tentés de porter un jugement, l’apôtre ajoute: « mais toi, pourquoi juges-tu ton frère ? Et toi, pourquoi méprises-tu ton frère ? Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu, … , ainsi, chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même ».
Le problème des sacrifices païens n’est plus d’actualité, et celui des restrictions alimentaires du judaïsme ne nous concerne plus, en revanche celui du jugement porté sur les autres nous concerne. « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli », – ajoute Saint Paul. Nous n’avons pas à juger ceux qui ne jeûnent pas, si nous-mêmes observons le carême, et ceux qui ne l’observent pas n’ont pas, non plus, à porter de jugement sur ceux qui l’observent.
Mais ne faisons pas de contre-sens, si l’Eglise a choisi cette lecture, ce n’est certainement pas pour prôner ou justifier le libre arbitre de chacun dans le rejet ou l’acceptation des règles, très strictes chez nous, du carême, c’est uniquement pour nous interdire de juger les autres, quelle que soit notre position personnelle à ce sujet. L’Eglise demande à ses fidèles d’opérer un retournement de leur vie pendant le carême, et, si possible au-delà. Elle nous demande de ne jamais juger notre prochain, de pardonner les offenses, de prier davantage, d’assister aux offices avec plus d’assiduité, de revenir aux valeurs essentielles du christianisme, de donner la priorité à Dieu et à notre prochain.
Dans de nombreux passages des Evangiles, le Christ appelle Ses disciples à prier et à jeûner. L’un ne va pas sans l’autre. La prière rend le jeûne plus facile, et le jeûne rend moins difficile le retour vers Dieu. Si nous l’observons sérieusement, le carême implique une diminution des relations sociales, le remplacement des distractions profanes par des activités qui le sont moins, il rend notre vie moins futile, plus profonde. Les restrictions sont sévères: pas de spectacles, pas de lectures légères, un régime alimentaire végétalien, un amour du prochain réactivé, un retour vers Dieu à tous les niveaux. Dans la Russie d’avant la révolution, les théâtres impériaux faisaient relâche, les restaurants affichaient des menus de circonstance –  ce qui était un peu hypocrite. Les églises étaient pleines et les fidèles se préparaient à ce qui était, malheureusement, leur communion aux Saintes Espèces annuelle et unique.
De nos jours, et en terre non-orthodoxe, et, en fait, même plus très chrétienne, rien n’est fait pour nous faciliter les choses. Mais nous pouvons prendre exemple sur les Juifs et Musulmans pratiquants qui, dans un environnement tout aussi peu propice pour eux que pour nous, n’iront pas boire de boissons alcoolisées pour les uns ou manger du jambon ou tout autre mets interdit pour les uns et les autres, sous prétexte que la publicité est incitative et que leurs voisins le font, et, semble-t-il, avec beaucoup de plaisir.
Pour en revenir au jeûne préconisé par l’Eglise, le prêtre, comme tout autre chrétien ne doit pas juger celui qui ne jeûne pas, mais il est de son devoir d’en rappeler les règles, sachant que les efforts à fournir doivent être modulés en fonction des possibilités de chacun. Les objectifs sont élevés, très élevés même, puisqu’il n’est fait aucune distinction entre la discipline des moines et celle des chrétiens qui vivent dans le monde. A chacun de se fixer des objectifs qu’il sera à peu près capable de tenir. Se fixer des objectifs trop élevés peut conduire au désespoir s’ils ne sont pas atteints, ou faire sombrer dans l’orgueil, s’ils le sont, ce qui serait encore pire. Se fixer des objectifs ridiculement bas, ou ne s’en fixer aucun, ne sont pas non plus des solutions, surtout si l’on a, en plus, la conscience tranquille. Tout est affaire de discernement  et d’équilibre. C’est cet équilibre extrêmement fragile et difficile à atteindre que nous devons rechercher dans tous les domaines de notre vie spirituelle. Et il est bon de rappeler que l’ascèse recommandée pendant le carême, ainsi que la prière qui l’accompagne ne sont jamais des buts en soi, mais des moyens qui permettent de corriger, de recentrer nos vies et de nous rapprocher de Dieu.
Dans tous les cas de figure, le Christ nous demande « de ne pas prendre l’air sombre quand nous jeûnons, comme le font les hypocrites, … , et de nous parfumer la tête et nous laver le visage, pour ne pas montrer aux hommes que nous jeûnons, mais seulement au Père qui est là dans le secret. » Cela signifie que le jeûne doit être discret et rester une affaire entre nous et Dieu. Là où cela se complique, c’est quand tous les membres de la famille ne sont pas du même avis sur la question. Cela ne change rien pour toute la partie spirituelle du carême. Mais le jeûne alimentaire et la vie sociale doivent alors s’adapter de façon à ne pas détériorer les relations familiales. Mais l’effort de tolérance est à fournir par les deux parties. En un mot, la règle est dure, mais par économie, surtout quand c’est l’amour du prochain qui est en jeu, il peut être nécessaire de l’adapter et de l’assouplir. Un carême qui met de mauvaise humeur et rend désagréable, un carême qui a pour résultat une détérioration des relations familiales ou amicales est un échec spirituel.
Bon carême à tous, à la fois sérieux et joyeux !

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