La Croix

Clôture de l’Exaltation de la Croix Saint-Prix 2014

            La fête de l’Exaltation de la Croix, dont nous célébrons aujourd’hui la clôture est un paradoxe. Nous fêtons la découverte, « l’invention » en langue liturgique, de la Croix sur laquelle le Christ a été crucifié. Nous fêtons également la Croix comme instrument de salut. Les mots « fête » et « croix » sont pourtant, à première vue antinomiques. Comment peut-on fêter un symbole de la douleur et de la persécution ? Les stichères chantées aux vêpres sont explicites :

            « Faisons retentir aujourd’hui un chant de fête et, le visage radieux, exclamons-nous d’une voix claire : ô Christ, qui pour nous as accepté la condamnation, les crachats et les fouets ; (…) qui es monté en croix ; à la vue duquel le soleil et la lune cachèrent leur éclat, la terre trembla d’effroi et le voile du temple se déchira en deux (…).

            Saint Paul évoque ce paradoxe dans sa première épître aux Corinthiens : « Nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs (c’est à dire pour nous chrétiens), Il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes ».

           Le parallèle avec l’actualité est frappant. Il n’est pas rare que des gens, même proches du christianisme ou du judaïsme se posent une question qui fait écho aux paroles de Saint Paul – comment un Dieu bon a-t-Il pu laisser exterminer des millions de Juifs innocents pendant la Seconde Guerre mondiale et 900 000 Serbes, parce qu’ils étaient orthodoxes, comment a-t-Il pu laisser, au début du siècle dernier, le pouvoir soviétique éliminer physiquement des centaines de milliers de croyants – évêques, prêtres et fidèles, uniquement parce qu’ils étaient chrétiens, comment peut-Il tolérer ce que subissent en ce moment les chrétiens et musulmans non-fondamentalistes du Moyen-Orient qui sont massacrés parce qu’ils refusent d’apostasier ? Nous trouvons une ébauche de réponse à cette question dans nos offices de l’Exaltation de la Croix, même s’il n’est pas certain que nous soyons capables d’admettre son bien-fondé, nous qui sommes sourds et aveugles sur le plan spirituel.

              C’est par la Croix et la Résurrection, intimement liées, que le Christ est « la pierre angulaire ». C’est par la Croix et la Résurrection que le Christ apporte le salut à l’humanité déchue. Le chœur chante que « la Croix du Christ est espérance des chrétiens, guide de ceux qui errent, havre des naufragés, victoire dans les combats et rempart de l’univers, guérisseuse des malades et résurrection des morts ». La Croix est tout cela grâce à la Résurrection. Mais si le jour de l’Exaltation de la Croix, l’Eglise préconise un jeûne sévère, si les ornements sacerdotaux sont de couleur sombre, c’est parce que la Croix est aussi un instrument de torture, c’est parce que le Christ est mort avant de ressusciter. « Te voyant suspendu sans vêtements sur la croix – chante-t-on aux vêpres, Toi le Créateur de l’univers, la création tout entière fut secouée de frayeur, le soleil suspendit ses rayons, les rochers se fendirent, la terre chancela et le voile du Temple fut déchiré en deux. Les morts ressuscitèrent de leurs tombeaux et les puissances d’en-haut furent stupéfaites et disaient : Merveille ! Voici que le Juge passe en jugement et souffre librement Sa passion pour le salut du monde et sa restauration ». Nous avons ici, une vision de fin du monde.

                Le Christ nous a donc sauvés par la Croix, par Sa Croix. Mais au cours de la cérémonie du baptême où la triple immersion symbolise notre mort et notre résurrection, il est aussi fait mention de la croix que nous devons porter si nous voulons être des disciples du Christ. « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive » – dit le Christ au chapitre 9 de l’Evangile de Luc. Chacun de nous a une croix, plus ou moins lourde à porter. Il peut s’agir d’une maladie, ou de souffrances de tous ordres, parfois intolérables. Nous pouvons éprouver de la crainte, nous pouvons être tentés de refuser cette croix, nous pouvons être tentés de nous rebeller. Le Christ aussi est passé par ces phases – cela nous est rappelé dans la première antienne de la liturgie où sont citées Ses paroles quand, sur la Croix, Il s’est adressé au Père en disant : « Seigneur, Mon Dieu, pourquoi M’as Tu abandonné ? ». Et avant Son arrestation, Il avait dit à Gethsémani: « Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de Moi. Pourtant, non pas comme Je veux, mais comme Tu veux ».

               Assumons ces paroles, nous qui éprouvons des doutes, nous qui sommes tentés de fuir la croix que le Christ nous appelle à porter. Aussi difficile que cela soit, assumons aussi les paroles du « Notre Père », quand nous Lui demandons que Sa volonté soit faite – Sa volonté et pas la nôtre, si elle ne s’inscrit pas dans les plans de Dieu.

Ce contenu a été publié dans sermon. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.