Parabole des talents


2 Co 6, 1-10   Matthieu  25, 14-30

            La parabole des talents est, sans doute, la plus connue des Evangiles. Mal interprétée, elle est choquante par son aspect purement matériel ou financier, qui est en totale contradiction avec l’esprit des Béatitudes, et celui des Evangiles en général. Une interprétation à la lettre justifierait l’usure, c’est-à-dire le prêt contre rémunération par le biais du paiement d’intérêts, que les canons du Premier Concile œcuménique ont catégoriquement interdit aux clercs de l’Eglise primitive. Les diacres, prêtres et évêques ne peuvent prêter de l’argent qu’à titre gratuit. Ce qui est interdit aux clercs est, évidemment, plus que fortement déconseillé aux laïcs. La parabole ne peut donc être une justification de la spéculation. Elle a une autre finalité. 

            Un maître, nous dirions maintenant un patron, catalogué dans la catégorie des « durs qui moissonnent où ils n’ont pas semé et ramassent où ils n’ont pas répandu » fait régner la terreur sur ses employés. Avant de partir en voyage, il confie son capital à trois serviteurs, le divisant en parts inégales, en fonction des capacités de chacun d’entre eux. Deux des employés, « les serviteurs fidèles », font fructifier le capital qui leur a été confié, tandis que le troisième, le « mauvais serviteur » met la somme reçue à l’abri, de peur de la perdre ou de se la faire voler et d’avoir ensuite à se justifier au retour du maître qui est loin d’être un tendre. Le calcul s’est révélé faux. Les deux employés zélés sont félicités, tandis que celui, qui n’a pas fait travailler l’argent qui lui a été confié, se voit reprocher son absence d’initiative. Il est renvoyé sans ménagement. Il aurait dû, au moins, placer l’argent chez des banquiers pour qu’il rapporte des intérêts.

            Le Christ prononce des paroles parmi les plus énigmatiques des Evangiles: « A tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré ».

            La parabole a certainement intrigué la foule qui l’a écoutée, comme elle nous intrigue maintenant. Son but, comme celui de toute parabole, est de faire comprendre une vérité profonde par une voie détournée. Plus elle intrigue, plus elle fait réfléchir. Dans la mesure où il est inconcevable que le Christ prône la spéculation, c’est donc qu’il veut nous faire comprendre autre chose.

            En français, comme en anglais, en russe, et, dans la plupart des langues européennes, le mot latino-grec « talent » qui désignait une mesure de poids d’or, a pris, du fait de la parabole, le sens de don, d’aptitude, de capacités que reçoit tout homme à la naissance et qu’il peut, en tout cas, qu’il devrait faire fructifier en les développant. Il peut s’agir de la beauté, d’un quotient intellectuel élevé, de capacités physiques supérieures à la moyenne, ou de dons intellectuels ou artistiques – ils sont alors sources de danger, car ils peuvent entraîner une obsession quand on veut les conserver à tout prix ou les développer au maximum pour son bien-être personnel. Ils sont une source d’orgueil quand celui qui possède ces talents oublie qui les lui a donnés et s’en attribue les mérites. Ces talents sont une bénédiction quand ils sont mis au service de notre prochain, et donc automatiquement au service de Dieu. Le don le plus important, celui qui rapporte le plus sur le plan spirituel, pour reprendre l’image de la parabole, est la faculté d’aimer gratuitement son prochain, de l’aimer, sans rien attendre en retour. Ce talent est rarement une source d’orgueil, surtout s’il est spontané et sans arrière-pensée. Ce n’est malheureusement pas celui de nos talents que nous développons de façon prioritaire. Le Christ rappelle qu’il est facile d’aimer ses proches, d’aimer ses amis et, en particulier, ceux qui nous font du bien. C’est ce que font de façon naturelle les païens des Evangiles. Et encore, nous savons tous que même cela, nous ne le faisons pas toujours.

            Aimer gratuitement, c’est se comporter à l’égard de toute personne que nous croisons, comme nous aimerions qu’elle se comporte à notre égard. Le jour du Jugement, nous aurons à répondre du mal que nous avons fait, mais aussi, et nous avons tendance à l’oublier, bien que ce soit clairement spécifié dans les Evangiles, nous aurons aussi à répondre du bien que nous n’avons pas fait, alors que nous aurions pu le faire. Dieu connaît notre faiblesse. Dans la perspective de notre salut, Il attend de nous que nous fassions un petit peu plus que ce que nous croyons être capables de faire, l’Esprit, la Grâce, l’amour de Dieu, pourvoiront au reste. C’est aussi à cela que fait allusion la parabole – notre investissement personnel dans le domaine de l’amour du prochain, le développement de ce talent sera complété et multiplié par des forces autrement plus puissantes que les nôtres. Mais cela ne peut se faire qu’avec notre accord.

            L’absence d’efforts, en connaissance de cause, risque de nous mettre dans une situation difficile le jour du Jugement. Ce sera notre faute, car nous avons été avertis. Nous n’affronterons pas un Dieu vengeur, mais un Dieu affligé et nous subirons la honte, le remords, et la conscience de notre noirceur qui rendront insupportable la lumière divine. Ce n’est pas Dieu qui a chassé Adam du paradis, c’est Adam lui-même qui s’en est chassé, parce qu’en raison de sa faute, il était incapable de supporter la présence de Dieu.  

            Faisons notre possible pour éviter cela, développons notre talent essentiel, notre propension à aimer Dieu et notre prochain, et pour ce qui est au-delà de nos forces, car nous serons toujours incapables d’atteindre la perfection, comptons sur la bonté de Dieu qui palliera nos insuffisances.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                  

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