La parabole du riche et de Lazare

            La parabole du riche et de Lazare pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses. Une majorité de chrétiens de la mouvance protestante déduisent de la parabole que toute prière pour les défunts est inutile, qu’à partir de notre mort, les jeux sont faits. Ils s’appuient sur deux phrases précises: la première: “… Entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d’ici vers nous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers vous”, et la seconde: “Si les (vivants) n’écoutent ni Moïse, ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus”.

Pourtant, l’abîme infranchissable dont il est question ne sépare pas les vivants des morts, mais des défunts d’autres défunts. Les uns, comme Lazare “ont été emportés par les anges au côté d’Abraham”, les autres, comme le riche, “sont au supplice au séjour des morts”. Lazare a intégré le Royaume, le riche s’est retrouvé dans ce que nous appelons l’enfer. Malgré leur séparation, les résidents de ces deux mondes sont parfaitement au fait de ce qui se passe chez les autres. Nous-nous heurtons alors au problème de la compassion. Notre Dieu est un Dieu “compatissant et miséricordieux”, ne cessons-nous de répéter dans nos offices. Comment pourrait-Il ne pas comprendre le sentiment de compassion que Lazare, et toute personne qui a été sauvée, sont susceptibles d’éprouver à l’égard du riche ou de tout autre damné ? Et si Lazare est capable de compassion, Dieu l’est mille fois plus. Alors, qu’est ce qui conditionne notre salut ou notre condamnation ? Nous sommes confrontés à un mystère.

Mais nous pouvons être certains que nous aurons à répondre de nos actes. N’attendons pas un châtiment mérité pour éprouver un sentiment de repentir et nous convertir. Repentons-nous, convertissons-nous ici-bas.

 Des théologiens orthodoxes, en particulier en Russie, ont développé l’idée qu’une condamnation définitive et irréversible de l’homme pour l’éternité était inconcevable, dans la mesure où Dieu est un Dieu d’amour, et que le bonheur éternel des uns ne peut coexister avec une condamnation tout aussi éternelle des autres. Cette conception est convaincante, mais elle doit être considérée avec prudence. Si l’homme avait l’assurance d’être sauvé, qu’il se repente, même tardivement sur terre, comme le Bon larron, ou dans l’au-delà, cette conception pourrait l’inciter à se passer de Dieu. Et nous savons ce qui est arrivé au premier homme lorsqu’il a pris le risque de se passer de Dieu. La sévérité et la peur du châtiment illustrés par la parabole ont des vertus pédagogiques. L’arme de la peur est souvent efficace, même si elle est loin d’être la meilleure.

            Les théologiens occidentaux, tout aussi gênés par ce problème, ont essayé de le résoudre en avançant le concept du purgatoire – ceux qui n’auraient commis que des péchés véniels seraient sauvés, tandis que ceux qui en auraient commis des mortels devraient passer par des phases de purification dont la durée serait proportionnelle à la gravité de leurs fautes et atténuée par leurs bonnes actions. Les pères de l’Eglise ignorent ces distinctions entre péchés plus ou moins graves – les “passions”, au sens patristique du terme, sont des grandes catégories de péchés qui en comprennent une multitude. Ces catégories, indissociables, sont toutes aussi graves, mis à part l’orgueil qui l’est davantage, car il est à l’origine de toutes les autres. Dans ce domaine, il ne peut être question d’une quelconque comptabilité ou classification.

            La solution au premier problème posé par la parabole est de vivre en sachant que nous serons jugés sur la façon dont nous aurons vécu, tout en ayant foi, tout en comptant sur la miséricorde divine, sur les prières de l’Eglise et celles de nos proches pour obtenir la clémence de Dieu.

            Le second problème est celui de la surdité de ceux qui ne veulent pas entendre et l’aveuglement de ceux qui refusent de voir. Abraham ne fera pas avertir les frères du riche de ce qui les attend, alors qu’ils mènent une vie semblable à celle qu’a menée leur frère défunt et risquent donc de subir la même peine. S’ils n’ont pas compris que leur vie n’était pas en accord avec les commandements dictés à Moïse, s’ils n’ont pas compris les messages, sans doute moins clairs des prophètes, ils ne croiront pas davantage les avertissements d’un éventuel émissaire de l’au-delà qui leur conseillerait, en plus, de changer de vie. Le Christ fait allusion à ce qui va se passer lors de Sa Passion. Les foules de Jérusalem qui vont accueillir Celui qui a ressuscité Son ami Lazare se détourneront de Lui, dès Son arrestation. Et même les apôtres, dont la foi a chancelé, mettront un certain temps à comprendre que le Christ est vraiment ressuscité.

            C’est tout le problème de la foi. Si nous n’avons vraiment pas envie de changer de vie, si nous n’avons pas vraiment envie de nous tourner vers Dieu, si nous remettons notre conversion à plus tard, quand nous aurons « bien vécu », si nous ne cherchons pas à comprendre quelles peuvent être les conséquences de notre attitude sur terre, alors aucun miracle, aucune explication ne nous inciteront à le faire.

            Nous bénéficions de l’expérience de plus de 2000 ans de christianisme, de l’expérience de tous les saints que l’Eglise donne en exemple, du récit de nombreux miracles passés ou actuels. Comment, malgré la faiblesse de notre foi, pouvons-nous ne pas percevoir les multiples interventions de Dieu dans notre quotidien ? A nous d’en prendre conscience et de vivre en fonction de la foi que nous essayons d’acquérir ou de celle que nous avons et que nous voulons renforcer avec l’aide de l’Esprit.

N’oublions pas de prier pour les défunts. Pensons aux pannykhides et prenons pleinement conscience de ce que représente la lecture des dyptiques à la proscomédie. Elle aboutit, à la fin de la liturgie, à l’immersion dans le calice des parcelles prélevées au nom des vivants et des défunts, avec la formule dont nous devons mesurer l’importance:  » Lave, Seigneur, par Ton Sang précieux et les prières de Tes Saints, les péchés de ceux dont il a été fait mémoire ici. »

C’est une partie du mystère de notre salut qui est dévoilée.

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