St Prix janvier 2016

 Nous-nous posons des questions existentielles auxquelles Evangiles et épîtres apportent des amorces de réponses, sans parfois y répondre complètement. Nous pouvons éprouver alors de la frustration et nous retrouver dans la même situation que le premier homme quand il a consommé le fruit de l’arbre de la connaissance. Il voulait avoir la réponse à toutes les questions, indépendamment de Dieu, sans Sa bénédiction, en fait, sans Lui.

Ce qui nous différencie de nos frères occidentaux, dans notre approche spirituelle, est que la priorité, chez nous, devrait être donnée à la pratique, à l’imprégnation, tandis que la théologie, la connaissance, nous seraient accordées de surcroît. « Cherchez le Royaume de Dieu, le reste vous sera donné » – est-il écrit.

Mgr Kallistos Ware raconte qu’il a fait connaissance avec l’orthodoxie en entrant un soir dans une église où les célébrations étaient faites en slavon, une langue qu’il ne connaissait pas, et où l’atmosphère était très différente de celle du monde anglican dont il était issu. Dès ce jour-là, les jeux étaient faits, le futur évêque Kallistos avait commencé par ressentir, par s’imprégner, par s’abandonner, et le reste a suivi, au point qu’il est maintenant l’un des évêques les plus orthodoxes du monde occidental. Il n’a pas commencé par se poser des questions.

Il y en a cependant, dont nous voudrions connaître les réponses – des questions posées par des personnes a priori éloignées de Dieu, comme par celles qui essaient d’En être proches.

La question première est celle du mal. Pourquoi un Dieu bon accepte-t-Il les horreurs que commettent certains hommes, pourquoi accepte-t-Il l’extrême pauvreté, le dénuement de populations entières ? Pourquoi Dieu accepte-t-Il les souffrances d’êtres innocents ? Aux lettrés qui Lui demandent à propos d’un aveugle-né – qui est responsable de sa cécité, le Christ répond que – ni Lui, ni ses parents n’en sont responsables. Et Il ajoute que la guérison de l’aveugle de naissance a été accordée pour que la puissance de Dieu, puisse se manifester de cette façon. Cet ajout incite à poser une autre question – pourquoi cet aveugle a-t-il bénéficié de la mansuétude et de la manifestation de la puissance divine et pas les autres ? Nous n’avons pas de réponse.

Certaines Eglises de la mouvance protestante américaine établissent une relation entre la richesse, la réussite sociale et la piété, la question de la santé restant en suspens. Il n’est pas certain, pourtant, que la richesse puisse être liée à la vertu, surtout si elle est le résultat de pratiques plus ou moins honnêtes, surtout si elle a été obtenue au détriment du bien-être d’autrui, pour ne pas dire en exploitant les plus faibles. Et si la prospérité et le bonheur matériel étaient liés de façon automatique à l’observance des commandements de Dieu, qui choisirait la pauvreté et le malheur ? Nous ne serions alors plus libres de choisir. Or Dieu a créé l’homme à Son image et à Sa ressemblance – Dieu a créé un homme libre de choisir, un homme qui a mal utilisé sa liberté, ce que nous continuons de faire.

La maladie, elle, frappe indifféremment les riches et les pauvres, la seule différence étant que certains ont accès aux soins et d’autres pas.

Les mots « mal » et « maladie » ont la même racine que le qualificatif « Malin », celui qui dans le Notre Père désigne le démon. C’est logique. Le mal, la maladie, le Malin sont liés au point que le mot « mal » peut avoir les trois significations. Le mal est à la fois le contraire du bien, le mal dont on souffre est une maladie et le mal avec une majuscule désigne le démon. Pour éviter la confusion, nous préférons parler du Malin. Le Malin, le Mauvais, le Tentateur, le Démon, quel que soit son nom, est là pour nous éloigner de Dieu. Il essaye de Lui faire porter la responsabilité de tous les désagréments et de tous les malheurs qui nous arrivent – c’est là le plus dangereux. Et pour couronner le tout, il nous présente le mal comme séduisant et le bien comme ennuyeux et pesant.

Tout cela étant dit, même si l’on peut comprendre que le mal, la maladie, notre propension au péché, sont des conséquences de la désobéissance et de l’orgueil du premier homme, il reste difficile à admettre que Dieu, au nom de notre liberté, laisse quasiment toute sa liberté au démon pour nous tenter, pour nous faire dévier du chemin qui mène au Royaume. Dieu nous « abandonne » d’une certaine façon, comme un père qui laisse un enfant grandir et prendre ses responsabilités, sans trop intervenir.

Le Christ a aussi éprouvé un sentiment d’abandon pendant Sa Passion. « Pourquoi M’as-Tu abandonné » ? dit-Il en S’adressant au Père. Si le Christ a éprouvé une profonde angoisse avant Sa crucifixion, si Lui-même S’est senti abandonné, le Père ne peut qu’être indulgent avec nous quand nous éprouvons ces mêmes sentiments, nous qui sommes si imparfaits et si faibles.

Il est curieux de constater que dans un certain nombre de cas, les vétérans de conflits armés ou les rescapés de drames affreux peuvent éprouver une forme de nostalgie. En période de forte crise, le mal et le bien sont exacerbés. Les bons deviennent meilleurs, et les mauvais deviennent pires, avec parfois de rares cas de rédemption. Les récents événements qui ont frappé la France ont eu pour résultat de créer un grand mouvement d’union et de solidarité, et de créer plus d’empathie pour les autres pays souffrants.

Pour ce qui est de l’Eglise, et lorsque nous nous réunissons ici, nous sommes toute l’Eglise, la visible, comme l’invisible, l’apôtre Paul La compare à un corps dont tous les membres sont solidaires. Quand l’un souffre, tous les autres souffrent avec lui. N’oublions pas cependant que la souffrance n’est pas un bien, et qu’il ne faut surtout pas la rechercher.

Nous sommes imparfaits, nous sommes pécheurs et notre foi n’est pas assez solide, mais il nous faut accepter qu’il y a un côté positif aux souffrances physiques ou morales qu’il y a un côté positif à la détresse que peuvent subir les uns ou les autres parmi nous, même si nous sommes incapables faire abstraction de tous les côtés négatifs. Cet aspect positif est le retour à l’essentiel, cet aspect positif est la solidarité et l’amour mutuel qu’ils font ressortir dans notre communauté.

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