4-ème dimanche de carême 2016

 Nous sommes à mi-parcours sur le chemin qui mène à la fête de la Résurrection du Christ. Le Grand carême est un temps de prière, de jeûne et de méditation. C’est une période pendant laquelle nous essayons de vivre comme nous devrions vivre en permanence, imitant en cela ceux qui ont adopté le mode de vie monastique. Faisons le point sur notre vie. En quoi nous distinguons-nous de ceux qui ne sont pas chrétiens ? En quoi nous distinguons-nous de ceux qui sont chrétiens, mais dont le chemin est plus ou moins différent du nôtre, alors que nous allons dans la même direction ? Et enfin, sommes-nous vraiment ecclésialisés ?

L’ecclésialisation de la vie, l’ecclésialisation de notre vie, préconisée par nos prédécesseurs dans l’Archevêché, fait partie de l’héritage que nous avons reçu du Concile de Moscou de 1917-1918. Les participants à ce Concile ont eu juste le temps d’envisager un certain nombre de réformes. Certaines visaient à corriger les dérives imposées par Pierre le Grand. Le Concile a, entre autres, rétabli le Patriarcat que le tsar et empereur avait supprimé pour transformer l’Eglise en une administration à son service. Les autres réformes n’ont pu être mises en œuvre, mais les réflexions amorcées au cours du Concile ont été poursuivies dans l’émigration qui a mis l’accent sur le concept d’ecclésialisation.

 La racine du mot ecclésialisation est « ecclesia » – « église » en grec. L’Eglise est cette construction mystique dont le Christ est la tête et les vivants et les défunts sont le corps, Elle est aussi l’institution humaine, fondée par le Christ. L’ecclésialisation de notre vie est notre participation à cet édifice à la fois mystique et humain, dans le cadre des offices et ensuite dans notre quotidien. L’ecclésialisation est un mode de vie, complété par une prière, par un dialogue avec Dieu à la fois individuel et collectif.

Quelle part accordons-nous au « je », à « l’individuel », quelle part accordons-nous au « collectif », au « nous » et à l’Eglise-institution ? Cette question ne se pose pas seulement dans la mouvance protestante, elle se pose malheureusement aussi chez nous. La tentation est grande de vouloir se passer de l’Eglise-institution et de se contenter du « je ». La tentation est grande de se passer d’intermédiaire, avec l’illusion que l’on peut avoir, tout seul, une relation directe avec Dieu. Dans la prière que le Christ nous a léguée, nous utilisons largement la première personne du pluriel – nous nous adressons à « notre Père », nous Lui demandons de « nous donner notre pain de ce jour », « de nous pardonner nos offenses, de ne pas nous soumettre à la tentation, de nous délivrer du Malin ». Dans la prière à l’Esprit Saint, dans la prière au Roi céleste, nous Lui demandons de « venir faire Sa demeure en nous, de nous purifier de toute souillure, de sauver nos âmes ». Dans ces deux prières, il ne s’agit pas d’un « nous » de majesté, du « nous » qui autrefois était d’usage dans les dissertations en cours de français. Il s’agit d’un « nous » collectif.

Le Christ a dit à Ses disciples que « là où deux ou trois seraient réunis en Son Nom, Il serait au milieu d’eux ». C’est en s’appuyant sur ces paroles qu’au cours de la liturgie, le célébrant annonce aux fidèles : « le Christ est parmi nous » et qu’ils répondent : « Il est et Il sera ». Que ce soit dans les litanies ou dans presque toutes les prières, la 1-ère personne du pluriel prédomine très nettement sur la première du singulier. Le « nous » prime sur le « je ». Nous ne passons au « je » qu’à deux moment de la liturgie : dans le credo : « Je crois en un seul Dieu, (…) en un seul Seigneur, (…) en l’Esprit Saint, (…) en l’Eglise (…), Je confesse une seul baptême, (…) j’attends la résurrection des morts ». Nous passons aussi au « Je » dans la prière avant la communion : « Je crois et je confesse, (…) Je Te prie donc, aie pitié de moi et pardonne-moi mes fautes volontaires et involontaires », et ainsi de suite, jusqu’à la fin de la prière. Le « je » est la marque d’un engagement personnel. Mais nous nous engageons tous ensemble.

Quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ? La foi ne peut être qu’individuelle, mais elle n’a aucun sens si elle est égocentrique. C’est pourquoi la prière doit également impérativement être collective. On ne peut faire fi de son prochain. D’ailleurs, un prêtre orthodoxe n’a pas le droit de célébrer seul. L’Esprit est, certes, présent en tout lieu, et la prière individuelle est nécessaire et incontournable. Mais le Christ nous demande de la compléter par une prière collective, dont nous ne pouvons faire l’économie. L’une ne va pas sans l’autre. Et la vie spirituelle est plus que bancale, si l’on privilégie la prière individuelle, si l’on estime que l’on peut se passer de la prière collective en Eglise.

Dans la liturgie de Saint Basile nous prions pour ceux qui se sont absentés pour « de justes raisons », pour des raisons de santé ou de force majeure. Cela veut dire que dans la plupart des cas, quand nous n’allons pas aux offices pour « convenances personnelles », pour ne pas dire autre chose, nous nous mettons en dehors de l’Eglise (avec un E majuscule). Le carême est là pour nous aider à retrouver le bon chemin, essayons d’en tirer profit, sans oublier que dans notre paroisse le régime est léger par rapport aux normes orthodoxes en vigueur. Gardons à l’esprit que les offices nous apportent plus de bienfaits qu’ils ne nous demandent d’efforts.

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