4-ème dimanche de carême  Mc 9, 17-31  Hb 6, 13-20    Mt 4, 25-5, 12   Ep 5, 9-19

                  Les liturgies que nous célébrons le plus fréquemment dans notre Eglise sont celles de saint Jean Chrysostome et de saint Basile. Les hymnographes, les auteurs des nombreux autres offices, ont été des patriarches, des théologiens ou de simples moines. Tous se sont inspirés des Ecritures qu’ils citent en permanence de façon directe ou indirecte. Les textes auxquels ils se réfèrent proviennent du Nouveau, comme de l’Ancien testaments. Dans certaines éditions de nos offices, les sources d’inspiration sont indiquées en notes. Ce sont essentiellement les Evangiles – aujourd’hui nous avons lu le sermon sur la Montagne, les « Béatitudes » qui sont reprises intégralement dans notre liturgie, mais ce sont aussi les Actes des apôtres ou les épîtres de Saint Paul dont certaines phrases sont citées mot à mot. Pour ce qui est de l’Ancien testament, les sources d’inspiration principales sont la Genèse, les livres prophétiques et surtout les psaumes dont les théologiens disent qu’ils préfigurent les Evangiles.

            L’apôtre Paul rappelle, dans l’extrait de l’épître aux Hébreux lu aujourd’hui, que Dieu a prêté deux serments, a fait deux testaments en faveur des héritiers d’Abraham: en faveur des Juifs, puis des chrétiens, qu’ils soient issus du judaïsme ou du monde païen. L’apôtre précise que ces deux testaments sont « deux actes irrévocables ». Pour éviter toute ambiguïté, il utilise deux fois l’adjectif « irrévocable », et ajoute que Dieu « ne peut mentir, qu’Il ne peut faillir à Sa promesse ». C’est une ébauche de réponse aux questions complexes que pose le statut spécifique du judaïsme, bénéficiaire de la première promesse. Si le premier testament était révoqué et non complété par le second, comment pourrions-nous expliquer la persistance du judaïsme que les persécutions quasi-permanentes tout au long des siècles n’ont pas réussi à détruire, y compris pendant la Seconde guerre mondiale, où elles ont atteint leur paroxysme ? Cette explication n’a pas valeur de dogme, elle est discutable, elle est loin de répondre à toutes les questions, mais elle lève légèrement le voile qui couvre ce qui reste pour nous un mystère. Dans tous les cas de figure, elle nous impose le respect pour nos aînés dans la Révélation.

            L’une des finalités du carême est de nous faire revenir aux normes de vie chrétienne. L’application de ces normes dans notre quotidien nous prépare à accueillir la nouvelle de la Résurrection du Christ. Mais elle commence aussi à nous adapter à ce qui sera la norme au Royaume où nous sommes tous conviés. L’invité à la noce de la parabole doit revêtir les vêtements adéquats sous peine d’être rejeté. Nous sommes appelés à revêtir ces vêtements si nous ne voulons pas nous sentir complètement étrangers dans l’autre monde, si nous voulons être capables de supporter le choc de la confrontation avec la Perfection, nous qui sommes si profondément imparfaits. Après tout, pour prendre un exemple concret, les cosmonautes se préparent bien sur terre à l’apesanteur dans laquelle ils devront travailler dans l’espace, et les plongeurs doivent aussi se préparer avant de travailler dans les fonds sous-marins. Notre préparation, elle, n’est pas physique, mais spirituelle, elle n’en est pas moins obligatoire, elle est indispensable. Nous devons « revêtir le Christ » comme il est rappelé dans l’office de baptême. Cette conversion suppose l’adhésion la plus totale possible au modèle de vie préconisé par les Béatitudes. Le Royaume des cieux appartiendra aux pauvres en esprit, c’est-à-dire à ceux qui ne sont esclaves d’aucune richesse matérielle, intellectuelle ou spirituelle. Il appartiendra aux doux, à ceux qui n’usent jamais de violence d’aucune sorte. Il appartiendra à ceux qui pleurent sur leurs péchés et font preuve de compassion pour leur prochain. Il appartiendra à ceux qui recherchent en permanence la justice, au sens propre, c’est-à-dire l’adéquation de leur vie aux commandements de Dieu. Un juste est quelqu’un qui se soumet volontairement et entièrement à la volonté de Dieu. La recherche de la justice, pour les autres, au sens actuel du mot, et l’œuvre de paix, citée un peu plus loin, font partie des nombreuses manifestations possibles de  l’amour du prochain.

            Le Royaume appartiendra à ceux qui pardonnent, car ils seront pardonnés, à ceux qui ont un cœur pur, à ceux qui ont une âme d’enfant tant qu’il est encore innocent et confiant, comme nous devrions être confiants en Dieu.

            En résumé, il nous est demandé  d’aller à l’encontre de tout ce qui nous semble naturel, de tout ce que le monde présente comme une réussite, de tout ce que nous avons tendance à rechercher. Vivre à contre-courant, vivre autrement attire l’incompréhension, les moqueries, les insultes, les petites ou les grandes persécutions. Nous sommes relativement préservés dans notre monde occidental, où la foi que nous devrions manifester ne fait plus encourir de risques physiques, mais ce n’est pas le cas pour de nombreux chrétiens d’Asie ou d’Afrique. Les coptes d’Egypte et les chrétiens d’Afrique noire, entre autres, subissent des persécutions violentes sur lesquelles les media s’étendent moins que sur les catastrophes naturelles.

            Saint Paul aborde la question sous un angle différent dans son épître aux Ephésiens, mais l’idée est la même: maintenant que les Ephésiens devenus chrétiens sont constitués en communauté, ils doivent « vivre en enfants de lumière (…), et le fruit de la lumière, – ajoute-t-il, s’appelle: bonté, justice, vérité ». Ils « doivent discerner ce qui plaît au Seigneur, ne pas s’associer aux œuvres stériles des ténèbres, (…) et être vraiment attentifs à leur manière de vivre ». L’apôtre ne parle pas directement de persécutions, mais il dit que « ce que les gens font en secret sera démasqué et manifesté par la lumière ». En d’autres mots, les chrétiens d’Ephèse, par la lumière qu’ils portent, par l’exemple de leur vie sont des révélateurs des turpitudes du Monde, de celles des païens qui les entourent. Ils seront rejetés comme est rejeté tout ce qui est différent. Le contre-exemple que donnent les chrétiens d’Ephèse est une remise en cause implicite du mode de vie ambiant, il ne peut que susciter une réaction plus ou moins brutale d’un entourage hostile.

            Suivons l’exemple des Ephésiens, essayons d’être des porteurs de lumière, discrets mais tenaces, dans un monde déchristianisé. Saint Séraphim de Sarov appelait chaque homme à œuvrer pour son salut personnel avec l’aide de l’Esprit afin d’assurer un salut collectif en sauvant le monde par contagion et imprégnation.  

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