Dimanche du Jugement dernier 1 Co 8, 8 – 9, 2 Mt 25, 31-46

Nous sommes entrés dans la période de préparation au Grand carême. Les textes lus au cours de notre liturgie font partie de cette préparation. Dans l’extrait de l’épître aux Corinthiens de ce jour, l’apôtre Paul demande aux chrétiens de Corinthe de ne pas consommer de viande provenant de sacrifices faits aux idoles. « Si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerai à tout jamais à manger de la viande plutôt que de faire tomber mon frère » – écrit-il. Cette phrase a été précédée d’une autre phrase déroutante : « Ce n’est pas un aliment qui nous rapprochera de Dieu : si nous n’en mangeons pas, nous ne prendrons pas de retard ; si nous en mangeons, nous ne serons pas plus avancés ». Nous non plus d’ailleurs ne sommes pas plus avancés, dans la mesure où la phrase n’est pas très claire. Il est cependant possible d’en déduire, en ce qui concerne notre carême, que nous observerons le jeûne pour nous et non pour Dieu, à qui nos menus importent peu. Les restrictions alimentaires et autres, que nous allons nous imposer, nous aideront à recentrer notre vie sur l’essentiel. Elles seront une aide, mais certainement pas un but en soi.

Un second thème est abordé, cette fois, dans l’évangile d’aujourd’hui, celui du Jugement dernier. La présentation de ce Jugement a de quoi effrayer. A commencer par les conditions à remplir pour gagner notre entrée au Royaume. S’il nous est arrivé, de nourrir les affamés directement, ou indirectement, par le biais de dons à des associations, s’il nous est arrivé de rendre visite à des malades, rares sont ceux, parmi nous, qui ont recueilli un étranger, et encore plus rares sont ceux qui sont allés voir un prisonnier, ne serait-ce que parce que c’est matériellement difficile à réaliser. Alors, si nous n’avons pas accompli ce qui est demandé ici par le Christ, et la liste n’est pas limitative, serons-nous condamnés à être « maudits », serons-nous « condamnés au feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges », comme il est écrit dans l’Evangile ? La fin du passage est encore plus angoissante – « les justes bénéficieront d’une vie éternelle, les autres d’un châtiment éternel ». C’est le mot éternel qui fait problème quand il s’agit du châtiment. Les théologiens de toutes les époques ont essayé de trouver des réponses plus ou moins convaincantes pour nous remonter le moral.

Certains ont déduit, sans doute à juste titre, que Dieu étant à la fois infiniment bon et ami des hommes, l’idée d’un châtiment éternel pour tous ceux qui ne seraient pas parvenus à la perfection était difficile à admettre. Les plus pessimistes ont avancé la théorie du purgatoire, les plus optimistes ont imaginé une période d’adaptation entre le moment de la mort physique et l’entrée au Royaume.

Les paroles très dures de l’Evangile d’aujourd’hui semblent contredire de très nombreuses autres paroles du Christ qui a affirmé qu’Il était venu sauver les pécheurs et non ceux qui se croyaient justes, que si atteindre la perfection était impossible aux hommes – leur faiblesse pouvait être compensée par l’infinie miséricorde de Dieu.

L’un des théologiens les plus optimistes a été Saint Isaac le Syrien, un saint du 7-ème siècle, dont voici quelques réponses à nos interrogations légitimes.

« Il n’est point de péché non pardonné, hormis le péché non repenti ». Voilà une première réponse au désespoir de celui qui a conscience de son état de pécheur. Saint Isaac ajoute : « Voici, mon frère, un commandement que je te donne : que la miséricorde l’emporte toujours dans ta balance, jusqu’au moment où tu sentiras en toi-même la miséricorde que Dieu éprouve envers le monde ».

Saint Isaac poursuit en précisant que « La miséricorde est contraire à la justice ; la justice (…) donne à chacun ce dont il est digne (c’est à dire ce qu’il mérite), sans admettre de faveur ni de partialité. Mais la miséricorde (la miséricorde divine) (…), se penche sur chacun avec compassion ; elle ne rend point le mal à celui qui le mérite, et restitue le bien avec une grande surabondance ». L’idée a été reprise par Mgr Antoine de Londres qui a dit que « Si Dieu était juste, nous serions tous condamnés ». Saint Isaac va encore plus loin : « Une poignée de sable dans la mer immense, a-t-il écrit, voilà ce qu’est le péché de toute chair (c’est-à-dire de tout être humain) en comparaison avec la Providence et la miséricorde de Dieu ». La poignée de sable – ce sont nos péchés, la mer c’est la miséricorde divine.

            Cet optimisme est cependant relativisé par les paroles suivantes : « La voie qui mène à Dieu est une croix quotidienne. Nul n’est monté aux cieux en menant une vie de fraîcheur. Nous savons où cette dernière se termine ».

            Profitons du Grand-Carême, qui va bientôt commencer, pour nous efforcer de trouver un équilibre en vivant le plus chrétiennement que nous le pourrons, sans complaisance envers nous-mêmes. Ne soyons pas déstabilisés par nos chutes, par nos échecs inévitables. Ayons confiance en la mansuétude divine mais ne comptons pas sur elle seule pour nous relever, elle ne nous dispense ni de nos efforts, ni de notre croix.

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