Dimanche des Rameaux 2017

     L’entrée triomphale du Christ à Jérusalem est l’une des douze fêtes majeures célébrées par notre Eglise. Nous ne fêtons ni l’accueil d’un Messie dont la foule espère qu’Il va bouter l’occupant hors de la Palestine, ni la versatilité programmée de la foule qui va abandonner le Christ dès Son arrestation et ira jusqu’à demander Sa mort. Cette entrée triomphale à Jérusalem est une fête, dans la mesure où elle anticipe la Résurrection. Il est facile de se rassurer en pensant qu’à la place des contemporains du Christ, nous aurions adopté une attitude différente. L’apôtre Jean, et les futures myrrhophores, mis à part, les autres apôtres et disciples du Christ ont eu un comportement à peine meilleur que celui de la foule qui avait approuvé la mise à mort de Celui qu’elle avait suivi, estimant qu’elle avait été trompée. Les disciples, restés fidèles malgré tout, n’ont ni compris, ni accepté la mort du Christ, jusqu’à Sa résurrection. Il serait présomptueux d’imaginer que, dans les mêmes circonstances, nous aurions été plus courageux qu’eux et que notre foi aurait été supérieure à la leur.

       Nous savons quelles étaient les attentes de la foule qui avait accueilli triomphalement le Messie à Jérusalem. Interrogeons-nous sur nos attentes. Pour quelles raisons, sommes-nous devenus chrétiens, et plus particulièrement chrétiens orthodoxes, ou, pour quelles raisons assumons-nous le choix fait par nos parents lorsqu’ils nous ont baptisés ? Quelles sont nos vraies motivations ? Qu’espérons-nous trouver dans l’Eglise ? Ne sommes-nous que des « consommateurs » qui recherchent des bénéfices spirituels ?

       Les chrétiens sociologiques, ceux qui vont à l’église parce que c’est la tradition dans la famille, ou parce que cela se fait, sont en voie d’extinction. Dans notre société, la foi chrétienne n’est plus vraiment à la mode. Rares sont ceux qui ont bénéficié d’une révélation subite, à la Saint Paul sur le chemin de Damas. Alors qu’est ce qui nous a amenés à l’Eglise ? Les Pères réfutent les arguments purement intellectuels. La foi est une grâce. Les connaissances sont utiles, mais elles ne sont qu’un éventuel élément déclencheur. Le pari de Pascal, selon lequel on a intérêt à croire en Dieu, qu’Il existe ou non, parce que s’Il n’existait pas, l’on ne perdrait rien et que s’Il existait, l’on gagnerait tout, ce pari est tout sauf orthodoxe. L’on ne peut et ne doit devenir chrétien par calcul. Le seul côté positif du « pari » est qu’il recommande une vie réglée par le Décalogue et les œuvres. La pratique peut alors déboucher sur une vraie foi, qui sera accordée par Dieu.

     Une adhésion au christianisme en vue d’un bien-être matériel, prôné par des mouvances protestantes américaines, qui établissent une relation entre une vie vertueuse et la récompense matérielle accordée par Dieu ici-bas, est inconciliable avec la Tradition. L’aspiration au bien-être spirituel, et non au confort spirituel, est acceptable lorsque nous acceptons de porter dans le même temps notre croix personnelle, comme le Christ l’a demandé. Cette croix est, tout sauf confortable, mais si elle est acceptée, elle est alors source de bonheur spirituel. L’on ne devient pas chrétien pour échapper aux souffrances. Une foi bien comprise permet de les assumer et de les sublimer. Les Pères de l’Eglise s’appuient fréquemment sur l’exemple de Job, du livre de la Bible qui porte son nom.

      Job était un homme aussi riche que vertueux – « il était intègre et droit, il craignait Dieu et s’écartait du mal » – est-il écrit. Le Malin met alors Dieu au défi – il est facile d’être vertueux quand tout va bien, quand on est riche et bien-portant. La foi de Job en Dieu résistera-t-elle à la perte de ses biens et de sa santé, (…) l’homme accablé perdant le jugement » ? Aussitôt dit, aussitôt fait – Job est mis à l’épreuve. Dans une première étape, il est complètement ruiné, ses propriétés sont brûlées, ses troupeaux sont volés, ses serviteurs, puis ses fils et ses filles sont assassinés. Job accepte tout. Il prononce les paroles que l’on connaît, sans toujours savoir qui en est l’auteur : «Je suis né nu, je mourrai nu. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Que le Nom du Seigneur soit béni » ! Dans une seconde étape, Job est frappé par « une lèpre maligne depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête » – est-il écrit. Là, commence une période de turbulences spirituelles. Un ami de Job résume la situation: « Dieu t’a mis à l’épreuve et tu fléchis (…) tu savais rendre la vigueur aux foules que tu éduquais, (…) tes paroles redressaient ceux qui perdaient pied, tu affermissais les genoux de ceux qui ployaient. Maintenant que ces malheurs te sont arrivés, c’est toi qui fléchis. Ta piété, ta bonne conduite ne tenaient-elles qu’à ton bien-être ?

      Après une longue période de doutes et de révolte, Job retrouve la foi, 42 chapitres plus tard: « Je sais que Tu peux tout, – dit-il à Dieu, et qu’aucun projet n’échappe à Tes prises. (…) J’ai abordé, sans le savoir des mystères qui me confondent. (…) Je vais T’interroger et Tu m’instruiras, disais-je. Je ne Te connaissais que par ouï-dire. Maintenant mes yeux T’ont vu, et j’ai horreur de moi ». Job a enfin accepté sa croix. Il est écrit alors que « le Seigneur rétablit les affaires de Job, occupé à intercéder auprès de Lui pour son prochain ».

         Quelles que soient les raisons qui nous ont fait franchir le seuil de l’Eglise, le chemin qui mène au Royaume est parsemé d’épreuves qui, heureusement, ne sont pas toujours aussi terribles que celles que Job a du affronter. Mais ce chemin ne peut être de tout repos. Et il est différent pour chacun d’entre nous. Notre imperfection nous pousse à nous engager dans cette voie, d’abord pour recevoir, pour nous sentir mieux ou moins mal. Il faut passer à l’étape suivante – faire le bien, non pour obtenir quelque chose, mais parce qu’il le faut, comme le serviteur inutile de la parabole qui n’attend pas de récompense pour ce qu’il a fait, parce que c’était normal. La foi est essentielle, car les résultats des efforts ne sont jamais immédiats. Tirons les leçons de l’expérience de ceux qui ont abandonné le Christ, parce qu’ils ont été déçus, parce que le Christ n’a pas répondu à leurs attentes immédiates et à leurs espoirs. Ayons confiance. Seules la confiance en Dieu et l’aide de l’Esprit, si nous la demandons, permettent de continuer d’avancer dans la bonne direction et de surmonter les périodes de découragement et les doutes inévitables.

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