Le « Notre Père » Saint-Prix,  janvier 2018

            Depuis le 3 décembre, catholiques et luthériens de France doivent remplacer dans le Notre Père, la formule : « Et ne nous soumets pas à la tentation » par : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation », et la majuscule est rétablie sur le mot « Mal », à la fin de la phrase : « 
mais délivre-nous du Mal ». L’idée est que l’ancienne traduction laissait à désirer par son imprécision, car une personne non avertie pourrait penser que Dieu serait à l’origine de la tentation, ce qui est évidemment impensable.

            Plusieurs tentatives d’introduction dans nos paroisses francophones de nouvelles traductions du Notre Père ont été faites. Dans la plupart des cas, elles ont échoué, et ont été le plus souvent abandonnées, car les fidèles n’ont pas suivi. Dans l’Eglise orthodoxe, même les décisions conciliaires n’aboutissent pas toujours à des changements, si ces changements n’ont pas été reçus et acceptés par le peuple, par les fidèles.

            Revenons à la question de fond. Il serait sans doute préférable de dire « ne nous laisse pas succomber à la tentation » pour éviter toute ambiguïté, mais, de toutes façons, la fin de la phrase, qui fait un tout avec ce qui précède, lève le doute : « ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du Malin ». L’initiative est laissée par Dieu au Malin. Le Malin nous tente, comme il a tenté le Christ dans le désert. La formule utilisée dans toutes les traductions en usage de l’Evangile de Matthieu est claire. Dans la version de la TOB, il est écrit : « Jésus fut conduit par l’Esprit au désert, pour être tenté par le diable ». La traduction de Louis Second, en usage dans le monde protestant francophone, ne dit pas autre chose : « Jésus fut emmené dans le désert pour être tenté par le diable ». Ce n’est pas l’Esprit qui tente le Christ, mais c’est Lui, l’Esprit, qui de fait, laisse le diable tenter le Christ. La formulation « ne nous soumets pas à la tentation » est donc acceptable, même si elle peut sembler ambiguë à une oreille non avertie.

             Comme le Christ-homme, nous sommes libres de succomber aux tentations du Malin ou de ne pas le faire. L’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il a été créé complètement libre, libre d’obéir à Son Créateur, mais également libre de succomber à la séduction du Tentateur.

            Dans notre société occidentale, toutes religions confondues, l’on ne croit, malheureusement plus, aux forces du Malin, l’on ne croit plus en l’existence du démon. « L’homme se croit civilisé et cultivé, en souriant quand on parle du démon, mais c’est ainsi qu’il en devient le jouet » – a écrit le père Cyrille Argenti.

            Pour des raisons d’efficacité pédagogique, l’Eglise indivise, en Orient, comme en Occident a laissé représenter le démon sous la forme d’un être horrible et laid. Dans le deuxième exorcisme du baptême, il est demandé au démon de se retirer du catéchumène, de se retirer de celui qui va être baptisé. Le célébrant s’adresse à « l’esprit étranger, à l’esprit malin (c’est-à-dire intrinsèquement mauvais et diaboliquement intelligent), à l’esprit impur, fétide (c’est-à-dire nauséabond, qui sent mauvais) et l’auteur de l’office ajoute « qui inspire le dégoût ».

            Le problème est que le démon inspire rarement le dégoût. Le Malin n’est horrible et laid, le Malin n’est repoussant que pour les saints, pour ceux qui, par leur foi, par leur vie, sont plus proches de Dieu que nous. Cette proximité leur permet de percevoir la laideur spirituelle du démon, laideur que nous ne percevons pas. Tous les anges créés par Dieu, ne peuvent qu’être beaux, même s’ils sont laids spirituellement, comme les anges déchus.

            En langue moderne, le démon est un être toxique. Dans la vie de tous les jours, ceux dont on dit qu’ils sont toxiques, sont des personnes intelligentes, séduisantes, manipulatrices, qui divisent et dont l’influence est addictive. C’est la définition du démon, à ceci près que les victimes de personnes toxiques finissent en général par s’en rendre compte et essaient alors d’échapper à leur emprise. Mais le démon, être immatériel, ange déchu, est beaucoup plus fin, bien plus intelligent et séduisant. Son action est moins perceptible que celle de l’être humain. Ses victimes, nous tous, avons tendance à ignorer l’emprise que le Malin exerce sur nous.

            Les tentations sont d’autant plus malignes, d’autant plus dangereuses, que le mot « tentation » est associé aux notions de satisfaction et de plaisir, qui en font oublier les conséquences. A l’inverse, les efforts que nous devrions fournir pour ne pas succomber aux tentations sont le plus souvent pénibles. Et que dire des multiples addictions, dont nous ne sommes même pas toujours conscients ?

            Le « démon est partout comme un lion rugissant qui rôde, cherchant qui dévorer »- a écrit l’apôtre Pierre à la fin de sa première épître. L’image est belle, mais elle peut nous faire baisser la garde. Le lion qui cherche une proie avance à visage, à gueule découverte. Dans la plupart des cas le Malin, lui, avance masqué. Soyons donc vigilants.

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