Le riche et Lazare

            La parabole du riche et de Lazare pose une question vitale à laquelle nous devons trouver une réponse orthodoxe, une réponse qui corresponde à l’enseignement du Christ. Il y a une constante dans les Evangiles: Dieu aime tout le monde, mais le Christ éprouve une sympathie affichée pour les estropiés de tous genres et pour les pauvres. En revanche, Il semble avoir une allergie marquée à l’égard des riches et de ceux qui vivent dans une forme de confort matériel ou spirituel. S’il fallait classer tous ceux qui apparaissent à une page ou une autre des Evangiles, il ressortirait que la catégorie des « personnages positifs » rassemblerait surtout des mendiants, des femmes à la vertu contestable et des escrocs, tous repentis au contact du Christ.

            Le héros positif de la parabole d’aujourd’hui est un « sans domicile fixe » affamé, couvert d’ulcères, qui n’a rien à espérer de la vie, qui n’a même plus la force physique d’aller quémander les restes de nourriture du riche dont il squatte le portail. Il est seul, abandonné de tous. Les seuls êtres vivants qui lui témoignent de l’intérêt sont des chiens errants, comme lui. Les chiens bénéficiant en « Terre sainte » d’une image à peine plus positive que celle des porcs, autant dire que le pauvre Lazare n’intéressait personne. Le héros négatif est le riche, celui qui a réussi, celui qui vit dans l’opulence. Dans l’au-delà, c’est Lazare qui reçoit sa récompense et le riche qui souffre le supplice. Et il y a de fortes chances pour que les cinq frères du riche connaissent le même sort après leur mort, la probabilité qu’ils se convertissent et qu’ils changent de vie étant quasiment nulle.

            La richesse serait un handicap chez les chrétiens, alors que la pauvreté serait un atout. Seuls certains protestants anglo-saxons s’opposent à cette vision, partant du principe que la réussite matérielle est une récompense accordée par Dieu.

            Les marxistes ont toujours reproché au christianisme de faire le jeu des puissants et des exploiteurs en vantant la pauvreté pour enlever toute envie de révolte aux masses laborieuses – la pauvreté sur terre étant un gage de prospérité dans l’autre monde.

            En fait, la position de l’Eglise est bien plus subtile et nuancée. Un pauvre envieux, chez qui  la conquête de biens matériels devient une obsession, ne vaut pas mieux qu’un riche, même s’il a des circonstances atténuantes. Dans les Béatitudes il est dit « heureux sont les pauvres en esprit ». Cette phrase peut être interprétée de deux façons qui se complètent. La plus courante est que sont plus près du Royaume, c’est-à-dire plus près de Dieu, ceux qui ne sont pas esclaves des biens matériels ou intellectuels, ceux qui n’accordent pas une priorité absolue à la satisfaction de leurs besoins. Les apôtres devaient se nourrir, se vêtir comme tout le monde, mais ce n’était pas leur préoccupation essentielle. Une autre interprétation, celle du père Alexandre Men’, est que tout comme un mendiant aspire à un minimum d’aisance matérielle, nous qui sommes pauvres sur le plan spirituel, nous devons aspirer à la richesse de l’Esprit en nous, nous devons avoir une soif inextinguible de Dieu que seul l’Esprit pourra étancher. C’est ce que Saint Séraphim de Sarov appelait « la conquête de l’Esprit », un combat de toute une vie et de tous les instants. Ces deux interprétations peuvent parfaitement coexister – nous devons nous libérer de notre soif obsessionnelle du bien-être pour que puisse croître en nous notre soif d’absolu, notre soif de Dieu.

            Dans les Actes des apôtres, il est fait mention de riches qui, devenus chrétiens, ont distribué leurs biens, et d’autres qui, restés riches, ont mis leur richesse au service des communautés naissantes. La richesse matérielle n’est pas un handicap, si elle a été acquise honnêtement, si elle n’est pas le résultat de l’appauvrissement de son prochain, si elle permet d’apporter une aide aux démunis. 

            En tout cas, si elle est utile, elle ne doit jamais prendre le pas sur tout le reste. Dans le cas contraire, la richesse, même relative, est un obstacle majeur à notre progression sur la voie du salut. Mais la pauvreté, elle aussi, peut-être un obstacle au salut, quand la lutte pour la survie détruit complètement la personnalité de celui qui la subit, quand le pauvre ne rêve que de richesse. Ce que le Christ nous demande, c’est de comprendre que la soif des biens matériels ou intellectuels ne sera jamais assouvie, alors que la soif de Dieu peut l’être. Le riche de la parabole s’est trompé de soif. De son vivant, il a remplacé la soif de Dieu par celle des richesses, par une soif matérielle. Maintenant il éprouve une soif spirituelle qu’aucune eau ne pourra étancher.

            Que nous soyons riches ou pauvres, nous devons rester pauvres en esprit, c’est-à-dire dépendre le moins possible des besoins autres que celui de nous rapprocher de Dieu. Evitons l’attachement immodéré aux biens terrestres et ayons une soif obsessionnelle de Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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