Dimanche du Pardon, 02- 2018

            Nous entendrons tout à l’heure la prière de Saint Ephrem le Syrien. La prière a été introduite dans les offices de la semaine qui vient de s’écouler. Elle accompagne les fidèles dans leurs prières personnelles pendant le Grand Carême. Elle est dite aux offices célébrés en semaine pendant les quarante jours de carême, puis aux liturgies des Présanctifiés des trois premiers jours de la semaine Sainte qui suit. Saint Ephrem énumère quatre passions – les occidentaux parlent de péchés capitaux, il énumère des péchés majeurs, qu’il faut vaincre et quatre antidotes à ces passions, quatre vertus, qu’il faut acquérir avec l’aide de Dieu.

            L’oisiveté, la première passion évoquée, est le contraire du labeur, du travail. C’est un manque d’activité ou une activité vide de sens. L’une des conséquences de la chute du premier homme, rapportée dans la Genèse est que l’homme « se nourrira dans la peine, tous le jours de sa vie », ou plus clairement, qu’il devra « se nourrir à la sueur de son front ». Saint Paul le reformule dans sa 2-ème épître aux Théssalonissiens : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus » – écrit-il. Le travail est donc une obligation. Il faut cependant distinguer l’oisiveté du repos, qui est nécessaire. Le refus de l’oisiveté ne signifie pas qu’il faille travailler jour et nuit. Il est demandé à l’homme de se reposer, de ne pas travailler le 7-ème jour. Et tous les 50 ans, les agriculteurs hébreux étaient appelés à laisser la terre se reposer, elle aussi, pendant une année. Chacun a des talents, chacun a des connaissances qu’il peut mettre à profit pour servir Dieu et servir son prochain. C’est aussi de cette façon que l’on échappe à l’oisiveté, qui pour les Pères de l’Eglise, est à la source de nombreuses autres passions, et ramollit le corps et l’esprit.

            L’abattement, la seconde passion, peut avoir des raisons objectives – le décès de proches, la maladie, des problèmes familiaux ou au travail. Le sentiment d’abandon et de solitude qui en résulte est dû au fait que nous ne mettons pas notre espoir en Dieu, mais comptons sur les autres ou sur nos seules forces, pour régler nos problèmes. Alors que le prophète David, dans son psaume 145 nous demande « de ne pas compter sur les princes, ni sur les hommes, incapables de sauver ». (…) et il ajoute : « Heureux qui a pour aide le Dieu de Jacob et pour espoir le Seigneur, son Dieu ». Nous ajoutons le Christ et l’Esprit Saint. Nous avons le droit d’être tristes, mais pas abattus, car Dieu est toujours à nos côtés. La confiance en Dieu, la foi, sont les remèdes pour lutter contre l’abattement. Mais cela n’a rien de facile en raison de notre manque de foi.

            L’esprit de domination, la troisième passion, est une des conséquences de l’orgueil. Il se manifeste à tous les niveaux, en famille, comme dans les relations avec notre prochain, quand l’on veut avoir du pouvoir sur autrui, quand on veut obtenir quelque chose par la force sur les plans matériel, intellectuel ou même affectif. « Le pouvoir n’est positif que dans une perspective de service – a dit le patriarche Cyrille de Moscou dans une homélie. Il n’est pas mauvais en soi, mais quand il est détourné au profit de quelques uns, quand il ne sert que les besoins de celui qui en est détenteur, il est source de péchés ».

            Les vaines paroles, enfin, la quatrième passion, peuvent sembler, à tort, inoffensives. Les ragots, les calomnies, les paroles désagréables ou méchantes peuvent pourtant avoir de lourdes conséquences. Et il est écrit dans les Evangiles que nous aurons à répondre de chaque parole que nous aurons prononcée. N’oublions pas que la parole est ce que nous distingue de l’animal. Chacune des étapes de la Création rapportées dans la Genèse commence par ces paroles : « Dieu dit » et suit ce qui a été créé. Quand Dieu crée l’homme à Son image, Il lui donne la parole que l’homme et Dieu ont alors en commun. En tenant des propos futiles, dénués d’intérêt, nous détournons cette faculté qui nous a été offerte, nous la rabaissons. Le Christ est désigné comme le Verbe de Dieu. Ce sont les premiers mots de l’Evangile de Jean : « Au commencement était le Verbe, (…) et le Verbe était Dieu ». La Parole avec un grand P est le message du Fils de Dieu. Il ne nous est pas demandé de faire vœu de silence, comme dans certains ordres monastiques, mais de faire attention à ce que nous disons et ne pas rabaisser le don que nous avons reçu, il nous est demandé d’en faire usage avec sobriété.

            Venons-en aux vertus dont il est question dans la prière de Saint Ephrem.

           Nous demandons à Dieu de nous accorder l’esprit d’intégrité, la première vertu citée par Saint Ephrem. Dans certaines versions de la prière, l’intégrité est réduite à la chasteté. En fait, la traduction exacte est « totale intégrité ». Le père Alexandre Schmemann explique que dans cette prière nous demandons au Christ de « restaurer notre intégrité en nous redonnant la vraie échelle des valeurs, en nous ramenant à Dieu ».

          L’humilité, la seconde vertu, est, dans la version en slavon, traduite mot à mot du grec ancien, est la « sagesse dans l’humilité ». Le mot humilité et ses dérivés font problème à notre époque. L’humilité est synonyme de « faiblesse ». Ni l’une, ni l’autre ne sont valorisées de nos jours. Le mot « humiliation » et le verbe « humilier » ont une forte connotation négative. Et l’adjectif « humble » est le plus souvent dépréciatif, sauf en langue d’Eglise. Dans la liturgie de Saint Basile, célébrée pendant le Grand carême, il est dit que « bien qu’étant Dieu dès avant les siècles, le Christ est apparu sur terre et a vécu parmi les hommes, qu’Il S’est anéanti Lui-même, en prenant la forme d’un serviteur, Se conformant à notre corps de faiblesse pour nous rendre conformes à l’image de Sa gloire ». L’une des caractéristiques du Christ est Son humilité. Il n’est pas né dans un palais. Il a vécu dans une famille dont le père était un modeste artisan et Il est mort entre deux brigands. La faiblesse assumée par le Christ n’a pas grand-chose à voir avec la nôtre, pourtant, dans sa 2-ème épître aux Corinthiens, Saint Paul affirme : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ». Tous les Pères de l’Eglise ajoutent que l’humilité est une condition incontournable pour notre entrée au Royaume.

          La patience est la troisième vertu. Chez l’apôtre Jacques, il est question de persévérance dans les efforts. La « patience » de la prière de Saint Ephrem est aussi un état d’esprit positif qui se manifeste par l’absence de réaction négative au mal subi et par la confiance en Dieu en toutes circonstances – ce qui est loin de nous être naturel.

         L’amour, enfin, la quatrième vertu. « Tu aimeras ton prochain, comme toi-même » a dit le Christ reprenant une phrase du Lévitique. « L’amour couvre une multitude de péchés », écrit L’apôtre Pierre dans sa première épître, détournant une citation du livre des Proverbes. (« La haine provoque les querelles, mais l’amour ne tient pas compte des fautes ».) L’apôtre Paul ne dit rien d’autre au chapitre 13 de sa première épître aux Corinthiens où il explique que, sans amour, toutes nos bonnes œuvres ne serviront à rien et que de la foi, de l’espérance et de l’amour du prochain, c’est l’amour qui est le plus important. L’apôtre Jean parvient à la même conclusion dans sa première épître.

         La dernière phrase de la prière de Saint Ephrem résume tout ce qui a précédé : « Oui, Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère ».

         L’importance et la pertinence de la prière de Saint Ephrem ne sont pas à démontrer. C’est pour cette raison qu’elle est répétée au cours des offices de carême. Dans la mesure où il nous est difficile de suivre les offices de carême en semaine, essayons de la dire et la mettre en pratique aussi souvent que possible.

 

 

 

 

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