Ep 2, 4-10   Lc 8, 26-39 Saint-Prix 4 novembre 2018

         Le récit de la guérison du possédé Géranésien semble ne pas nous concerner directement. Nous ne nous promenons pas nus, comme le possédé, nous ne vivons pas plus entre les tombes, dans un cimetière, et même s’il nous arrive de nous mettre en colère, ce n’est jamais au point qu’il faille nous enchaîner pour nous calmer. Il nous est donc difficile de nous identifier à cet homme qui vivait à l’est du lac de Galilée. Nous avons cependant un certain nombre de points communs avec lui. La vue du Christ dérange profondément le possédé qui Lui demande de ne pas le tourmenter. Lorsque nous lisons les Ecritures, lorsque des passages des Evangiles remettent en question notre mode de vie, nous sommes dans la situation du possédé à qui Dieu S’adresse directement. Nous avons le choix – nous pouvons L’écouter et nous convertir, c’est-à-dire nous tourner vers Lui, mais nous pouvons aussi nous détourner de Lui et ignorer le message reçu.

         Quand le possédé répond à la question du Christ lui demandant qui il est – il dit que son nom est Légion, car de nombreux démons sont entrés en lui. Il est conscient de son état. De quoi est-il question ? Il est question de ce que les Pères de l’Eglise appellent les passions, là où les Occidentaux parlent de péchés capitaux. Ce sont les passions qui nous éloignent de Dieu. Les passions sont suggérées par le Malin qui les présente de façon séduisante. Il nous fait baisser la garde. Les passions deviennent alors anodines et nous pouvons penser que succomber à certaines tentations ne prête pas vraiment à conséquence. Prenons l’avarice que les pères appellent la philargirie. Nous ne sommes pas avares comme le personnage principal de la pièce de Molière, mais sommes-nous vraiment prêts à partager ce que nous avons reçu de Dieu avec ceux qui en auraient besoin – nos biens matériels, comme les biens immatériels que sont les dons physiques, artistiques ou intellectuels, ou même tout simplement notre temps ?

            Quant à l’orgueil qui est la source de toutes les autres passions, sommes-nous conscients de ses multiples manifestations ? Quand, sans même penser que nous serions les meilleurs, nous portons un jugement sur notre prochain, c’est déjà une manifestation de l’orgueil. Et le Malin nous incite à nous trouver alors toutes sortes de circonstances atténuantes, plus nombreuses les unes que les autres. En bons chrétiens, nous voudrions le bien de notre prochain en le corrigeant. Nous pouvons porter des jugements sévères sur autrui, et dans le même temps, rester aveugles en ce qui nous concerne. Nous sommes beaucoup plus tolérants quand il s’agit de notre propre situation spirituelle. Les manifestations de l’orgueil sont extrêmement nombreuses et souvent difficiles à déceler, surtout chez soi.

          Lorsque nous refusons de voir nos péchés, quand nous refusons de lutter contre eux, parce que nous vivons très bien comme cela, sans que cela nous dérange, nous reproduisons l’attitude des Géranésiens. Lutter contre les passions est tout sauf agréable, tout sauf confortable. Il est difficile de changer son mode de vie. Et le Christ n’a pas caché que la voie qui menait au salut était étroite et demandait des efforts soutenus et permanents. Le jour du baptême il est dit au baptisé qu’il doit prendre sa croix pour suivre le Christ. Nous sommes avertis. La lutte contre les passions est une des croix que nous sommes appelés à porter. Les Géranésiens ont demandé au Christ de quitter leur ville pour préserver leur confort personnel. C’est ce que nous reproduisons quand nous sommes dans le déni et refusons de voir les passions qui nous assaillent, parce que cela nous dérange, parce que cela met à mal notre confort spirituel.

             Commençons donc par faire honnêtement un état des lieux. L’on ne peut trouver de traitement à une maladie, y compris spirituelle, que lorsque on a conscience d’être malade. Demandons ensuite l’aide de l’Esprit, car seuls, sans l’aide de Dieu, nous ne pouvons obtenir notre guérison. C’est l’humilité que Dieu attend de nous. C’est le début du chemin. Et si notre prière est entendue, sachons que ce n’est qu’une rémission, car rien n’est acquis définitivement.

Mais restons optimistes et gardons à l’esprit une sentence que Saint Isaac le Syrien a emprunté à un Père de l’Eglise dont il ne cite pas le nom : « Un de nos pères, dit-on, ne faisait consister sa prière pendant quarante jours qu’en une seule phrase : « j’ai péché en tant qu’homme, pardonne-moi en tant que Dieu ».

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