LAvent
« Voici que lon accroche les guirlandes de lampes multicolores au dessus des rues commerçantes de notre ville. Des pères Noël rouges, à barbe blanche, y déambulent, tandis que des sapins de toutes tailles sont en vente. Les ménagères vont acheter leur dinde. La nuit de Noël on réveillonnera avec le champagne jusquà laube dans les boîtes. Les commerçants gagneront beaucoup dargent, les médecins aussi en soignant les crises de foie (avec un e). Mais les petits enfants en Ethiopie ou ailleurs dans le tiers-monde continueront de mourir de faim. Joyeux Noël les copains ! ».
Vous devez penser que votre prêtre na pas supporté son départ à la retraite civile et que son cerveau a implosé. Rassurez-vous, je viens de vous lire une citation du père Cyrille Argenti dont la légitimité orthodoxe ne peut être mise en question. En analysant la démonstration du père Cyrille, on peut répondre aux questions qui se posent à propos du carême de Noël, ce quon appelle lAvent en Occident.
Le carême de Noël, le jeûne de la Nativité a commencé le jeudi 15 novembre. Contrairement à ce que nous avons tendance à penser, parce que cela nous arrange, ce carême est presque aussi sévère que le Grand-Carême. En semaine, lon est censé ne rien manger danimal, le poisson et le vin sont autorisés les samedis et dimanches et les jours de fête que sont le jour de la Présentation au Temple de la Mère de Dieu et le jour de la Saint Nicolas, si elle est la fête paroissiale. Alors pourquoi avons-nous tendance à négliger ce carême, alors que nous ne remettons pas en question celui qui nous prépare à Pâques ? Quand nous nobservons pas le Grand-carême, nous éprouvons une gêne ou même un sentiment de culpabilité, ce nest pas le cas pour celui de Noël.
Les raisons de ces deux différentes approches sont nombreuses.
Nous associons, à tort, le carême à un déplaisir, à des restrictions qui nous empêchent de vivre comme bon nous semble. La Passion du Christ, Sa mort sur la Croix nont rien de festif, et bien que nous mettions laccent sur la Résurrection, nous comprenons quelle a été précédée dimmenses souffrances physiques, morales et spirituelles pour le Christ. Il ne faut pas oublier quIl a pleuré des larmes de sang et quIl a demandé au Père « déloigner, – si cétait possible, la coupe » à laquelle Il allait boire. Lorsque quelquun que nous aimons souffre profondément, quand une personne à laquelle nous tenons est mourante, nous néprouvons guère dappétit, et nous néprouvons certainement pas le désir de faire bombance. Nous navons pas plus le cur à nous livrer à des activités récréatives. Lidée dobserver le Grand-Carême ne nous fait pas sauter de joie, mais ces restrictions nous semblent relativement logiques, même si cest pour de mauvaises raisons. Si le carême nous pèse, cest que nous nen avons pas compris la finalité.
Et cest vraiment le cas pour le jeûne de la Nativité qui précède une fête joyeuse, une fête que les enfants attendent avec impatience pour les raisons que vous savez. A quoi bon se mortifier, à quoi bon souffrir, alors que la Fête de lincarnation du Christ Dieu qui Se fait homme napporte que joie ?
Le Christ a dit que nous ne pouvions vaincre la tentation et les uvres du Malin que par le jeûne et la prière qui doivent impérativement être associées. Un jeûne sans prière est inefficace. Le jeûne nest pas destiné à nous faire perdre quelques kilos, ce nest pas son but. LEglise ne se préoccupe pas en priorité de notre santé physique. Elle se préoccupe de notre santé spirituelle et, pour cela, nous demande de prendre en compte les paroles du Christ et nous donne la recette qui permet de se concentrer un peu plus sur lessentiel.
Le Christ Sest retiré dans le désert pour jeûner. Le désert pour nous, cest labsence de distractions, cest le renoncement à tout ce qui nous éloigne de Dieu, à tout ce qui est susceptible de nous en distraire.
Le père Alexandre Schmemann sest longuement penché sur la question du jeûne. Il explique que la première finalité du carême est la libération de la tyrannie de la chair, cest à dire du matériel afin de rendre à lesprit la place quil devrait avoir, et la seconde finalité est la préparation à une rencontre. Lorsquon est invité à une noce ou à un banquet, qui dans les Evangiles symbolisent le Royaume on sy prépare, on revêt lhabit de noce ou de fête, mais avant de le revêtir, il est souhaitable quon se lave.
Lautre raison pour laquelle il nous est difficile dobserver le jeûne de la Nativité est que pendant la période qui précède les fêtes de fin dannée, absolument tout pousse à la consommation. Les publicités que lon reçoit dans les boîtes aux lettres incitent à acheter des produits plus appétissants les uns que les autres, à acheter des cadeaux pour nos proches. Il est sous-entendu, quil ny a pas de mal à se faire plaisir, et encore moins de mal à chercher à faire plaisir aux autres, ce qui ne serait pas faux si cétait dissocié dune fête religieuse. Le sens de la fête de Noël est complètement dévoyé. Le paroxysme de labsurdité a été atteint cette année dans une chaîne dhypermarchés qui propose un calendrier de lAvent pour chats avec une petite friandise pour félins pour chaque journée qui sépare cette créature de Dieu de la fête de Noël.
Dans deux monastères, un catholique de la région de Troyes et un orthodoxe dans les Cévennes, il se produit deux phénomènes parallèles – le chien du monastère se place spontanément à lentrée de chacune des chapelles pendant les offices. Dans les Cévennes, le chien pose ses deux pattes-avant dans léglise, ses deux pattes-arrière restent dehors. Le chien est pieux, et il respecte la règle qui lui interdit laccès de la chapelle. Il est probable que les animaux puissent avoir un certain sens du sacré, mais le calendrier de lAvent pour chats est une forme de blasphème. Il est une illustration de la puissance des forces du Malin.
Dans le même temps, poursuit le père Cyrille Argenti, « alors que ce Noël dHérode, comprenons le Noël du commerce, – nous rapprochera un peu plus de la fin dun monde qui court gaiement vers la mort, les disciples du Christ se rassembleront discrètement ( ) pour célébrer avec émerveillement larrivée dans une étable et lentrée dans la chair souffrante des hommes, du Dieu davant les siècles. ( ) Le Créateur vient dans le monde pour le recréer de lintérieur, pour refaire un homme qui puisse monter tout doucement vers la vie ».
Tout est dit.
Ne laissons pas notre faiblesse nous désespérer, ne laissons pas les illuminations, les guirlandes et les rayons des magasins nous distraire de lessentiel, et préparons-nous du mieux que nous le pouvons à la Fête de la Nativité !