Matthieu 21, 33-42  1 Co. 16, 13-24

                  Un peu avant la fin de sa première lettre aux chrétiens de Corinthe, Saint Paul résume ses recommandations en une phrase: « Veillez, soyez fermes dans la foi, soyez des hommes, soyez forts, faites tout avec amour. » C’est ce que Dieu attend de chaque chrétien, quelle que soit l’époque et le lieu où il vit. Il faut « veiller », – cela signifie que nous ne devons pas baisser la garde, nous devons être chrétiens 24h sur 24, et ne pas l’oublier dès que nous sommes sortis de l’église. Nous devons être « fermes dans la foi », ne pas faire de compromis avec le Monde dans ce domaine. Cela ne concerne évidemment que ceux qui ont déjà la foi.

            Les valeurs transmises par les Evangiles ont été globalement reprises par une bonne moitié de l’humanité, dans ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation judéo-chrétienne. Cela n’empêche pas que certaines de ces valeurs soient ignorées, quand elles ne sont pas tournées en dérision. C’est là que Dieu aimerait, car Il n’impose jamais rien et nous laisse toujours libres, c’est là qu’Il aimerait que nous fassions preuve de fermeté. Allant à l’encontre de la tendance générale, nous ne devons pas rechercher le bien-être matériel à tout prix, surtout au prix de l’appauvrissement de notre prochain. Nous ne devons pas être les partisans du « toujours plus », sauf, bien sûr, dans le domaine de l’amour, comme le rappelle l’apôtre Paul. Et tout cela, écrit-il, demande du courage et de la force, dans un monde qui n’est pas chrétien à l’époque de l’apôtre Paul, et, en ce qui nous concerne, dans un monde qui ne l’est plus. Nous avons le devoir de porter témoignage par notre vie. Il est ahurissant de penser qu’un ex-chanteur du célèbre groupe anglais des Beatles propose, dans une déclaration à la presse, que nous ne mangions pas de viande un jour par semaine pour sauver la planète, parce que pour nourrir les bovins, il faut produire du fourrage et des céréales qui auraient pu servir à nourrir des populations qui connaissent la famine. Comment se fait-il, que personne, dans les média, n’ait réagi en rappelant que l’Eglise invite ses membres à jeûner régulièrement, à ne pas consommer de viande le mercredi et le vendredi, et pendant tous les carêmes, ce qui fait, en tout, près de 180 jours par an ? Monseigneur Lustiger, ancien évêque catholique de Paris, a rapporté, dans un de ses livres, la gêne qu’il a éprouvée en Afrique quand ses collègues-évêque africains lui ont fait part des problèmes que posait le carême observé par leurs ouailles, particulièrement pauvres. Il ne semble pas que cette gêne ait eu beaucoup d’écho auprès des chrétiens français. Elle n’aurait probablement pas eu plus d’écho dans nos rangs, si les orthodoxes avaient lu, en masse, le livre de l’évêque de Paris. Pouvons-nous décemment nous retrancher derrière notre orthodoxie, et oser estimer que, contrairement aux autres chrétiens nous sommes en règle dans ce domaine ?

            Le patriarche Bartholomée, notre patriarche, suivant la voie de son prédécesseur, le patriarche Dimitri, s’est penché sur les problèmes écologiques et a demandé à un évêque grec de composer un office spécial de vigiles pour la journée consacrée par notre Eglise à la défense de la Création. Cette préservation de la Création a été le thème du dernier Congrès orthodoxe qui s’est tenu à Amiens. Il ne s’agit pas de nous mettre à la remorque des écologistes qui ont lutté pour le respect de la nature afin de vivre mieux, plus longtemps et de façon plus saine, et qui luttent maintenant, tout simplement, pour la survie de notre espèce. Nous ne nous plaçons pas au même niveau. La santé, la longévité et le respect de la nature ne sont pas des buts en-soi. Quoi que l’on fasse, l’homme restera mortel et il sera toujours sujet à des maladies. Il s’agit, pour nous chrétiens, de respecter la nature que Dieu nous a confiée, parce que nous en sommes responsables devant Lui. La Création, que ce soit dans les domaines de la flore, de la faune, et, plus généralement du climat, souffre des conséquences de la chute de l’homme qui se manifeste maintenant, entre autres, par sa cupidité, par sa recherche du toujours plus, par son égoïsme. L’exploitation déraisonnable de la nature est une des manifestations du péché, et elle mène à une succession de catastrophes qui iront en s’amplifiant. Nous avons des devoirs envers Dieu, envers la Création, y compris les animaux, envers notre prochain. Dans cette perspective, l’observance des carêmes, la modération en permanence de nos appétits dans tous les domaines, devraient revêtir plus d’importance à nos yeux. La satisfaction immodérée des besoins alimentaires ou la recherche obsessionnelle de la qualité ne sont pas seulement ce péché de gourmandise qui ferait plutôt sourire, parce qu’il ne semble pas prêter à des conséquences plus graves que le surpoids et un taux de cholestérol élevé, c’est aussi un péché contre notre prochain quand nous participons par notre surconsommation, dans tous les domaines, à son appauvrissement, quand nous lui retirons le pain de la bouche, sans le savoir, sans en avoir conscience.

            Tout a été pensé, tout a été prévu par Dieu quand Il a créé le monde. Il y avait un équilibre que l’homme devait respecter. Quand l’activité humaine conduit à la disparition d’espèces animales ou végétales, quand elle porte atteinte à l’équilibre de la Création, elle provoque des réactions en chaîne. La rupture de l’équilibre voulu et pensé par Dieu a des conséquences qui ne peuvent être que négatives. L’écologie, nous dirions le respect de la Création, n’est pas seulement un problème politique ou économique, c’est d’abord un problème religieux et moral. En luttant contre le péché, nous commencerons par essayer de sauver nos âmes. En essayant de sauver nos âmes, nous serons amenés à respecter davantage notre prochain et à préserver la nature. Les spécialistes des efforts spirituels que sont les moines ne sont ni des exploiteurs, ni des pollueurs. Notre modération, évidemment moindre que la leur, entre dans les plans de Dieu. Devenons ce que nous aurions toujours dû être, participons à ces plans et redevenons des co-créateurs. Nous ne serons alors pas seulement des écologistes, mais tout simplement des chrétiens responsables, et l’écologie trouvera sa dimension spirituelle.

 

 

 

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