Fils prodigue Homélie du p. André Fortounatto

Dimanche du Fils Prodigue – Saint-Prix – 8 février 2015 – Luc XV, 11-32

Il y a dans la parabole d’aujourd’hui deux volets. Le premier présente le fils cadet sous un jour peu flatteur. Il n’attend pas la mort de son père pour disposer de sa part d’héritage, et surtout il la dilapide en vivant de façon dis­solue. Le voilà alors salarié d’un païen, allant jusqu’à garder des porcs – type même de l’animal impur en judaïsme – et prêt à se remplir le ventre de la nourriture qui est la leur. Il ne se décide à revenir que sous la contrainte de la nécessité. Le ton change avec la réflexion inté­rieure du Prodigue. La démarche qu’il se propose a certes une motivation utilitaire, mais elle marque le début d’une conver­sion, d’un retour à Dieu tout autant que vers son père. En affirmant qu’il n’est plus digne d’être appelé fils, en réclamant d’être traité comme l’un des salariés de son père, il ne se livre pas à quelque vulgaire stratagème ; avec réalisme, il calcule le prix à payer pour son retour.

L’attitude du père, dans ce premier volet, suscite l’étonnement. Il ne récuse pas la demande de son cadet. Il partage son bien, répartit sa fortune entre ses deux fils. Selon le Deutéronome (21, 17), le cadet reçoit le tiers qui lui revient, tandis que les deux tiers destinés à l’aîné res­tent, jusqu’à la mort du père, sous l’administration de ce dernier qui reste maître de la propriété. Le père laisse totale liberté à son cadet, il n’entreprend aucune démarche pour retrouver son fils. Mais c’est l’amour prévenant avec lequel il accueille son fils lors de son retour, qui risque fort de provoquer en nous de l’incompréhension. On s’ima­gine, comme le cadet lui-même, que le père le traitera au mieux comme l’un de ses ouvriers, et lui demandera de réparer ses torts. Au lieu de quoi, le père est ému de compassion, il s’abaisse jusqu’à courir au-devant de son fils – une précipitation indigne d’un Oriental d’un certain âge – et à lui donner publiquement des marques d’affec­tion, avant même que ce dernier ait prononcé sa confession. Puis il interrompt celle-ci, fait remettre à son fils un anneau, signe d’auto­rité, des chaussures, marque distinctive de l’homme libre. Il le réin­tègre totalement dans le cercle familial et organise un banquet pour que toute la maisonnée partage sa joie de ce que son fils était mort et il est revenu à la vie.

Dans le second volet, le portrait de l’aîné révèle colère, jalousie et agressivité. En affirmant qu’il sert son père depuis tant d’années et n’a jamais transgressé son commandement, il se situe par rapport à lui dans une relation que détermine le devoir plus que l’amour. Son attitude de «juste» renvoie à celle des phari­siens et des scribes. Comme eux, il manifeste la distance qui le sépare du Prodigue en nommant son péché (il a mangé ton bien avec des prostituées dit-il à son père) et en le désignant comme « Ton fils que voilà – et non «mon frère». Il accuse son père de favoritisme et, au bout du compte, lui reproche d’avoir tué le veau gras, de manger et de festoyer avec celui qui n’est qu’un pécheur.

Ici, le père est conforme au portrait qui en était donné dans le pre­mier volet. Ici encore, son attitude est dictée par l’amour pour son enfant. Il aime ses deux enfants du même amour intense.

Les portraits de deux frères nous concernent. Si souvent nous sommes l’un et l’autre. Oublieux de Dieu, infidèles à son amour, mais heureusement susceptibles de repentir et de retour à notre Père des Cieux. Mais trop souvent aussi, avec nos frères humains, nous sommes durs, intransigeants, peut-être envieux et jaloux, incapables d’ouverture et de pardon. C’est un comportement qui nous éloigne de toute réconciliation véritable avec Dieu.

A l’approche du Carême, il nous appartient de nous inspirer de cette parabole. Faire retour au Père céleste, savoir se repentir, réintégrer la maison du Père. Mais à la condition nécessaire et préalable de nous réconcilier avec nos frères, de pardonner et d’accueillir, et ayant pardonné, d’oublier et de reconstruire.

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