Le “Notre Père”
S’il y a une prière que tout le monde connait, s’il y a une prière qui fait partie de notre patrimoine spirituel, on pourrait presque dire génétique, s’il y a une prière qui a été définitivement intégrée, plus ou moins consciemment, dans nos esprits, que nous soyons pratiquants ou non, et même chez les non-chrétiens, c’est le Notre Père, dicté par le Christ Lui-même. Cette prière, nous l’utilisons tous les jours, elle est dite dans quasiment tous les offices, et elle est inclue dans toutes les prières personnelles. Elle est si connue, elle est tellement ancrée dans nos esprits que le sens de ses paroles peut finir par nous échapper. De savants théologiens se sont penchés sur ces paroles et les ont analysées. Nous ne sommes pas des théologiens, mais nous pouvons tout de même essayer de redécrypter, à notre niveau, le sens des paroles du Notre Père, de voir s’il y a un fossé entre ce qui est formulé et ce qui est vécu dans notre quotidien.
Le fait que Dieu soit notre Père implique que les relations entre les créatures et le Créateur ont un caractère familial, très éloigné de la notion d’un Dieu vengeur, d’un Dieu qui serait un Juge sévère. Cette image a été véhiculée et continue de l’être pour des raisons pédagogiques – la crainte de Dieu, dans le sens de peur et non dans celui de respect qui en est pourtant le vrai sens, cette peur est nécessaire pour freiner l’homme déchu dans ses débordements. Les Pères de l’Eglise disent qu’au fur et à mesure de sa croissance spirituelle, le chrétien passe de la peur au respect, puis à l’amour. Il essaie alors de s’éloigner du péché, non par crainte d’un châtiment, qui serait de toute façon mérité, tant nous sommes imparfaits, mais par amour et crainte de décevoir.
La localisation de Dieu dans les cieux est une image – nous savons parfaitement qu’Il est partout présent et qu’Il emplit tout, mais notre aveuglement spirituel ne nous permet pas de Le voir en ce monde.
Quand nous souhaitons que le le règne de Dieu vienne et que Sa volonté soit faite sur la terre, comme dans l’autre-monde, comme dans le Royaume – nous nous avançons beaucoup. Cela devrait signifier que nous accordons systématiquement la priorité à Dieu et que nous essayons de vivre en chrétiens, sans demi-mesures. Chaque liturgie est une anticipation du Royaume. A nous de faire déborder les limites géographiques de ce Royaume, à nous de le faire sortir de nos églises et chapelles et de l’installer en ce monde.
Pour ce qui est du pain quotidien, la demande, si elle ne se réfère qu’à la sphère purement matérielle, pourrait être une concession à notre faiblesse et notre manque de foi. Il est bien spécifié dans les Evangiles que dans ce domaine, nous n’avons pas besoin de demander quoi que ce soit – Si Dieu S’occupe d’habiller les lis des champs et pourvoit à l’alimentation des oiseaux du ciel, comme le dit le Christ, il est impensable qu’Il ne se soucie pas de l’homme.
La demande suivante pose un problème d’une grande importance. Quand nous demandons à Dieu de “nous pardonner comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés”, nous prenons d’énormes risques et signons notre propre condamnation. Il serait, sans doute, plus prudent de rajouter mentalement: “comme nous essayons de pardonner à ceux qui nous ont offensés”.
Nous demandons enfin à Dieu de nous donner la force de ne pas succomber à la tentation et de nous délivrer des filets tendus par le Malin, dans lesquels nous ne cessons d’être pris. La traduction du Notre Père en usage dans le monde occidental est trop souvent source d’un contre-sens gravissime. Faites un sondage auprès des gens, y compris des orthodoxes, qui continuent d’utiliser la formule: “délivre-nous du mal”, qui plus est sans majuscule pour le mot “mal”, et demandez leur comment ils l’interprètent. Dans quatre-vingt dix-neuf pour cent des cas, c’est compris comme une demande faite à Dieu de nous éviter tout ce qu’il peut y avoir de pénible, les accidents de tous genres et tous les désagréments, petits ou grands qui peuvent survenir et empoisonner notre vie. Cela n’a rien à voir avec la lutte contre les tentations qui nous sont sussurées à l’oreille par le démon, dont le travail est d’autant plus facile que son existence est niée, même par des chrétiens.
Les paroles du Notre Père ne sont pas anodines, elles nous engagent, prenons en conscience.

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